"Une démocratie modèle a besoin de citoyens bien informés et qui participent à tous les aspects de la vie collective. Des citoyens qui comprennent le fonctionnement de leurs institutions, qui saisissent les enjeux des débats politiques, qui mesurent les conséquences des décisions les concernant. Alors que la complexité des matières traitées s'amplifie et risque de provoquer le désintérêt et l'aliénation, l'effort d'information impartiale doit être poursuivi inlassablement par tous, dans l'enseignement, les médias et les organismes officiels." BAUDOUIN 1er (1) Commencée il y a six ans, cette étude ne doit donc rien à un quelconque opportunisme consécutif à la disparition prématurée du regretté Roi BAUDOUIN. Si j'avais pensé à l'époque à présenter au public un nouvel ouvrage sur la fonction royale en Belgique, c'était pour répondre à ce qui me semblait déjà être un besoin d'information dont j'avais eu l'écho par l'intermédiaire de mes élèves. En effet, depuis le début de la mise en place de structures "fédérales" dans notre Pays, il ressort de plus en plus des sondages que les Belges doutent de leurs institutions, ou plus exactement qu'ils n'ont plus une confiance inébranlable face au Monde politique : les anciens clivages qui rassuraient, parce que les choix semblaient clairs, s'atténuent et les gouvernements se ressemblent fort dans leurs actes quels que soient les partis au pouvoir; nos institutions se compliquent en se multipliant et on ne peut dire qu'un grand effort soit fait pour éclairer l'opinion. Vrai ou faux, ce sentiment est répandu et le Belge moyen aime sentir une stabilité, des certitudes. Or, seule la Dynastie apparaît comme un recours; seule, elle présente un visage toujours familier, serein, sécurisant, dans cette Belgique nouvelle que peu de gens comprennent. Mais, là aussi, les Belges s'interrogent : comment le Roi travaille-t-il ?, peut-il agir ?, le fait-il et comment ? Voilà les questions auxquelles cette étude veut répondre. D'aucuns me rétorqueront qu'il existe déjà des ouvrages, remarquablement documentés, qui offrent à ces interrogations des réponses claires. Je citerai moi-même le précieux livre de Monsieur André MOLITOR, publié en 1979 par le CRISP sous le titre "La fonction royale en Belgique", auquel je dois beaucoup comme spécialiste mais que je trouve très austère et je crains que le grand public soit peu tenté par ce texte si théorique en apparence; il faut en outre admettre que tant de choses ont changé depuis quinze ans que son étude est, au moins en partie, dépassée. De même, le professeur Jean STENGERS de l'Université Libre de Bruxelles a publié en septembre 1992 aux éditions Duculot une étude, fouillée comme à son habitude, sous le titre "L'Action du Roi en Belgique depuis 1831."; son approche est différente de celle d'André MOLITOR mais, si elle utilise - comme la mienne - la démarche de l'Historien au niveau du fond, sa présentation reste, du point de vue de la forme, "ex cathedra". L'ouvrage que je vous présente, après six ans de préparation et d'expérimentation sur mes étudiant(e)s, s'inspire de la rigueur de mes deux éminents prédécesseurs; par contre, je suis parti d'une toute autre approche, inspirée de ma pratique de l'enseignement "rénové". En effet, de LEOPOLD 1er à BAUDOUIN 1er, des témoignages existent, très divers tant par leur nature (lettres, mémoires, chroniques, ouvrages de synthèse) que par leurs auteurs (nos Souverains, des hommes politiques de toutes tendances et formations, des historiens et des chroniqueurs, des constitutionnalistes,...) avec leurs certitudes, leurs questions, leurs doutes - qui sont aussi les miens. J'ai donc imaginé de publier, de manière à la fois complémentaire et (parfois) opposée, un choix aussi objectif que possible de ces documents - compte tenu des contraintes inhérentes à une publication adressée à un public "profane"; de leur confrontation jaillirait un tableau complet et vivant de la Fonction royale. Il s'agissait bien entendu d'accompagner cette "anthologie structurée" de commentaires brefs mais précis, rédigés avec l'habituel sens critique de l'Historien. Voilà qui permettrait à chacun de comprendre les mécanismes de cette Fonction qui reste dans l'ombre mais qui agit depuis plus de 160 ans, sans que le public sache jamais comment, de manière telle cependant que ce même public se sent rassuré parce qu'Elle est là, solide et si présente lorsqu'une catastrophe nous endeuille, lorsqu'un encouragement est attendu, lorsque les Belges s'inquiètent. Le problème est plus compliqué pour le règne du feu Roi Baudouin; le devoir de réserve de ceux qui approchent le Chef de l'Etat ne leur permet pas de dévoiler son rôle dans les divers dossiers qui ont parsemé l'histoire de la Belgique ces quarante dernières années. Je l'ai montré "en fonction" chaque fois que la documentation disponible le permettait. J'ai voulu également présenter les textes de notre Constitution avec un souci de cohérence qui n'apparaît pas nécessairement à la lecture des publications officielles : c'est que les matières sont tellement vastes que l'ordre dans lequel les articles sont numérotés ne permet pas toujours de retrouver immédiatement leurs éléments complémentaires; j'ai donc pris le parti de rassembler dans quelques chapitres-rubrique toutes les données qui sont disséminées dans le texte original, mais qui concernent le même sujet; j'espère ainsi en faciliter la lecture et la compréhension. Pour aborder les divers rôles du Roi, j'ai choisi un plan simple et logique : Le chapitre 1 présente notre Dynastie : quelle est-elle ? comment une succession s'opère-t-elle ? comment Léopold II est-il devenu en même temps Roi des Belges et Souverain du Congo ? depuis quand prêtent-ils leur Serment constitutionnel dans les deux langues ? quelle est la formation de nos princes et quelle préparation reçoivent-ils avant de remplir cette haute Fonction ? qu'est-ce que l' "impossibilité de régner" ? Le chapitre 2 traite de l'inviolabilité du Roi et de la responsabilité ministérielle qui en découle. Le chapitre 3 examine l'article 65 de la Constitution, selon lequel "Le Roi nomme et révoque ses ministres". Quelles sont les contraintes auxquelles le Souverain peut se heurter dans ce "domaine... où le Roi agit, sinon avec le plus de liberté, en tout cas avec le moins de couverture ou de garantie constitutionnelle", pour reprendre l'expression célèbre d'André MOLITOR (2) ? Le chapitre 4, consacré au pouvoir exécutif tel qu'il est vécu "au quotidien", tente de montrer quel est le rôle du Souverain dans l'élaboration des projets de loi, des arrêtés et dans la pratique de la sanction royale; il tend également à répondre à la question de savoir si le Roi n'est qu'une "machine à signer", et montre la complexité de la cohabitation quotidienne du Chef de l'Etat et de ses ministres; il s'intéresse enfin au problème de savoir si le Roi dispose ou non d'un "droit de veto". Le chapitre 5 constate que cette collaboration n'est pas toujours simple, en partie du fait même des prescrits constitutionnels; la "Question de l'Exécutif" existe depuis Léopold 1er dans la mesure où, dès cette première époque de notre Histoire, se pose le problème de la place respective du Roi et de ses ministres au sein du deuxième pouvoir : sont ce bien les ministres qui contresignent les actes du Souverain, ou celui-ci place-t-il pour la forme sa signature à côté de celle de son ministre ? Le chapitre 6 aborde le domaine dans lequel cette cohabitation s'est révélée, dès le départ, la plus difficile étant donné l'intitulé compris de manière contradictoire de l'article 68 de notre Constitution : le Roi et l'Armée. Dans la foulée logique des deux précédents, j'avais écrit un chapitre qui évoquait la "Question royale", si douloureuse et si controversée; je me gardais bien de l'isoler comme un élément personnalisé et fortuit de notre Histoire pour la situer, au contraire, dans le contexte de la "Question de l'Exécutif"; étant donné la complexité spécifique de ce problème, j'ai renoncé à le placer dans cette nouvelle version de ce travail, en attendant de lui consacrer peut-être un jour un ouvrage particulier. Le chapitre 7 examine les diverses faces du rôle du Roi comme arbitre : qu'il s'agisse de résoudre une crise ministérielle, d'impulsions à donner ou de l'équilibre à maintenir entre nos communautés. Le chapitre 8 enfin s'intéresse à diverses facettes du rôle du Chef de l'Etat, notamment la fonction de représentation. Il aborde aussi l'entourage du Souverain, souvent fort critiqué. Tous ont été mis à jour compte tenu de la nouvelle Constitution de la Belgique "fédérale". Enfin, dans le but de simplifier quelque peu la lecture par le public non spécialisé auquel cet ouvrage s'adresse en premier lieu, j'ai reporté en notes certains éléments de la critique des textes et quelques documents et arguments plus techniques. Ceci devrait permettre une approche double, aux niveaux des "profanes" d'abord, des "spécialistes" ensuite. Si cette étude peut amener les Belges - de manière générale - à revoir des jugements, à renverser des a priori, à provoquer la révision d'idées préconçues, je n'aurai pas perdu mon temps. Quelle que soit l'opinion que le public aura après cette lecture, qu'il soit assuré que je me suis efforcé de rester objectif, dans la lignée de mes Maîtres historiens de l'Université Libre de Bruxelles; puissent ceux-ci excuser mes faiblesses et tenir en compte que je n'ai pas rédigé cette étude à l'usage d'un cénacle de spécialistes qui n'en ont nul besoin, mais pour un large public qui réclame des informations. Claude-René DE WINTER Le 11 novembre 1993. ------------------------- (1) "Le Roi Baudouin, Dialogue... ", p. 81. Discours adressé le 18 janvier 1985 aux Autorités du pays. (2) A. MOLITOR, La fonction royale en Belgique. CRISP, 1979, p.26.
(créé vendredi 6 juin 2001)
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