Notes sur le Western
Billy the Kid

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Western, Loi et Hors-la-loi...

Un des thèmes du Western est l'opposition fondamentale entre la "Loi de l'Ouest" et Celle des Codes.

On la retrouve déjà au niveau mythique dans l'amitié tragique qui oppose William BONNEY, le "sauvage", instinctif et défenseur de la forme la plus primitive de la "loi", et Pat GARRETT lui-même ancien pistolero passé dans le camp de la Loi. Ce thème sert de support au "Billy the Kid" de David MILLER en 1941 qui se termine par un carton selon lequel la mort du Kid, peut-être volontaire - il a voulu tirer de la main droite ! - ouvre la voie à une époque d'Ordre... Le thème sous-tend la plupart des autres scénarios centrés sur sa figure légendaire.

Ce sont ces caractères ambivalents, modèles types du héros anglo-saxons, que je veux examiner ici.
Ajoutons que nous aurions pu étudier d'autres personnages de même acabit, en tête desquels se situerait Jesse JAMES. Il nous a toutefois apparu particulièrement intéressant de montrer deux légendes aussi apparemment dissemblables qu'un super-outlaw et un super-shérif, en réalité si comparables.

William H. Bonney, dit Billy le Kid (1859-1881).

Il a inspiré plusieurs réalisateurs (1). Wayne SARF retrace son parcourt au chapitre 4 (2) et Jon TUSKA lui réserve le chapitre 10 de "The American West in Film" (3).

Pourtant, sa biographie tient en quelques lignes dans la "Grolier Encyclopedia" (4) :
"American desperado, known as Billy the Kid. Born in New York City, he went west with his family at an early age. At twelve, he is said to have stabbed a man, and from then until his death he killed 21 persons, some in robberies, others in the course of escaping the law, and still others during the Lincoln County (N.M.) cattle war in 1878. Captured late in 1880, he escaped jail several months later, and was killed in a subsequent battle with the authorities. Although he was a ruthless killer, many romantic legends have arisen about him, and a ballet based on his life was presented in 1938 by Eugene Loring.".

L'historien américain Robert M. UTLEY a écrit une biographie intitulée "Billy the Kid, A Short and Violent Life", au départ d'importantes sources (5) ; le chapitre 18 intitulé "The Legend" contient un court paragraphe consacré à Billy au cinéma :
"Motion picture and television producers found the Kid irresistible. In more than forty Hollywood films, such stars as Johnny Mack Brown, Buster Crabbe, Robert Taylor, Paul Newman, Marlon Brando, and Kris Kristofferson depicted him in a wide range of personae. Throughout the 1930s, years of depression-induced escapism, the saintly Billy prevailed. By the 1970s, years of protest and cynicism, the satanic Billy had reasserted himself. With Young Guns in 1988, the more sympathetic Kid began a comeback. "From western Robin Hood to tormented adolescent and from degenerate punk to a martyred symbol of freedom", writes a noted film historian, "the Billy the Kid story has been manipulated to satisfy new audiences." (6)." (7).

Voilà ce que nous allons vérifier (8).

Le premier film de cette quarantaine auxquels R. UTLEY fait allusion semble avoir été "Billy the Kid" de King VIDOR, un "all talking picture", comme l'indique l'affiche originale, et en "wide screen" - procédé 70mm de la MGM - en 1930. Son récit commence en 1878 et se termine avec la mort du Kid, abattu par Pat Garrett (Wallace BEERY).

David MILLER en donne un "remake" en couleurs, avec Robert TAYLOR dans le rôle titulaire, en 1941 avec le même titre. Ce film ne soulève pas l'enthousiasme de Phil HARDY qui note "The striking outdoor colour photography, Fowler's literate, albeit romantic, script and Taylor (all in black) as the outlaw are the best things in an otherwise pedestrian film." (9).
En réalité, si le héros s'appelle bien William Bonney dit Billy le Kid, tous les personnages qui l'entourent reçoivent une nouvelle identité : Pat GARRETT devient "Jim Sherwood" (Brian DONLEVY), le major Tunstall devient "Eric Keating" (Ian HUNTER) et Murphy devient "Hicker" (Gene LOCKHART); nous avons donc affaire à un scénario ambigu dans la mesure où Billy sert de symbole à la violence qui doit disparaître en faveur de la Loi. Mais, si le spectateur averti reconnaît les thèmes de la biographie du Kid, il reste sur sa faim, ce qui ne pouvait que gêner HARDY, d'autant que, comme le fait remarquer Jean TULARD, Robert TAYLOR est "un peu vieux pour le rôle" (10).

En 1943, Howard HUGUES réalise "The Outlaw", qualifié de "One of the most (in)famous Westerns of all time" par Phil HARDY (11).

La période "pré-criminelle" du Kid - il arrive avec une réputation de tueur, peut-être en voie de réhabilitation ! - est évoquée dans "Chisum", réalisé par Andrew McLAGLEN en 1970. Le jeune William H. Bonney (Geoffrey DEUEL) y est engagé en qualité de cow-boy par l'éleveur anglais TUNSTALL. Son patron, qui se veut une sorte de père pour lui, sera assassiné; c'est le début de la fameuse guerre du Comté de Lincoln, en 1878, et de la vie de hors-la-loi du Kid. Assez curieusement, CHISUM (John WAYNE) est présenté ici comme ami de TUNSTALL et donc "allié" de Billy qui courtise d'ailleurs la nièce de l'éleveur, lequel estime son ranch assez grand pour qu'un homme sur un bon cheval ait besoin de l'été entier pour en faire le tour; lorsque, après la mort de son protecteur, le Kid entreprend de le venger en tuant les responsables de cet assassinat, il se retrouve finalement seul et part vers son nouveau destin, presque "salué" par Chisum et ses hommes à la tête desquels se trouve déjà Pat Garrett, et détenteur d'un indéniable capital de sympathie.
Par contre, le scénario de "Pat Garrett and Billy the Kid", réalisé en 1973 par Sam PECKINPAH fait de l'éleveur la bête noire du héros... Il est vrai que, dans le film de McLAGLEN, Billy a aidé Chisum à se débarrasser de Murphy (Forrest TUCKER) qui prétendait lui ravir la première place dans le Comté...
Le personnage du Kid - bien que présent tout au long du récit - n'en est pas moins secondaire et ne semble pas avoir davantage intéressé le réalisateur qui a placé son attention à un autre niveau.

Au contraire dans "Young Guns", réalisé par Christopher CAIN en 1988, Bonney (Emilio ESTEVEZ) constitue le personnage principal. Recueilli, comme d'autres "petits délinquants", par John Henry Tunstall (Terence STAMP), il apprend une optique de vie nouvelle; mais son comportement reste irrationnel et violemment spontané. Lorsque son bienfaiteur est assassiné par les hommes de Murphy (Jack PALANCE), il ne respecte pas la ligne "légaliste" de ses compagnons telle qu'elle est préconisée par l'aîné du groupe, Dick (Charlie SHEEN); c'est en faisant sa propre Justice que William Bonney devient "Billy le Kid".
La trame de cette histoire est parallèle à celle du "Chisum" de McLAGLEN, sans toutefois que l'éleveur y soit jamais présent ni même mentionné d'aucune manière. Ici, c'est Billy qui tue personnellement Murphy après le siège de la demeure des McSween. Un point commun toutefois entre ces deux versions : Bonney y est droitier... L'erreur de la légende est même expliquée dans "Young Guns" par l'inversion au tirage d'une photo du Kid portant primitivement son fusil à la main droite mais se retrouve gaucher par l'étourderie du photographe, ce qui n'enchante pas le jeune homme !

Le téléfilm de William A. GRAHAM, réalisé en 1989, résout ce problème en faisant de "Billy the Kid" (Val KILMER) un... ambidextre, toutefois à prédominance droitière - situation qu'on retrouve dans "The Kid from Texas" (le premier western d'Audie MURPHY, le soldat le plus décoré de la Deuxième Guerre mondiale) de Kurt NEUMANN en 1950 - !

Le scénario de "Young Guns" part du point de vue des protégés de Tunstall; il est inspiré de documents d'époque parmi lesquels le Journal de Chavez (Lou Diamond PHILIPS).
Le téléfilm de GRAHAM semble une synthèse de "The Left-Handed Gun", de "Pat Garrett and Billy the Kid" et de "Young Guns"; GRAHAM insiste toutefois davantage sur la jeunesse de Billy qui a 19 ans au moment du meurtre de son protecteur : il se conduit de manière impulsive, fait des blagues stupides à ses compagnons; Garrett est consulté comme une sorte de grand frère, rangé à Fort Summer où il vient de se marier au moment où Billy le rejoint; l'adolescent séduit la belle-soeur de son ami par sa beauté sauvage et sa spontanéité.
Essentielle de notre point de départ, et nouvelle par rapport aux autres versions, est sa rencontre avec le Gouverneur du Nouveau-Mexique WALLACE au cours de laquelle l'auteur du célèbre "Ben Hur" lui propose un marché : l'amnistie, contre le respect de la forme de la Loi sur ce Territoire; Billy se présente donc devant un tribunal, mais se retrouve condamné car, comme l'avait prévenu un de ses compagnons, "They kill not sheriffs !"; il traite le gouverneur de menteur lorsque celui-ci lui annonce ne rien pouvoir faire pour lui : le gamin auquel Tunstall avait appris à travailler honnêtement aura été ainsi trompé deux fois par la "justice", d'abord lorsque le shérif de Lincoln a personnellement assassiné son protecteur et maintenant qu'il se sent victime d'un marché de dupes; c'est à ce moment que tout semble vaciller et que William Bonney va vraiment devenir le hors-la-loi Billy le Kid !
Il s'évade et rejoint Pat qui vient d'être nommé shérif par le gouverneur; il accepte d'être photographié : pour la pose, il s'appuie sur son fusil tenu de la main gauche - nouvelle version de l'erreur qui en fera "Le Gaucher"; Garrett lui offre une dernière chance en exigeant que Billy quitte Fort Summer, sans quoi il serait obligé de l'arrêter. Stimulé par ses jeunes amis et persuadé d'être plus populaire que Pat dans cette région, il décide de rester par défi, proclamant : "This's free country ain'it ?". Il vole du bétail, se joue des représentants de la Loi. L'affrontement avec Garrett devient inévitable : c'est que Billy entre dans la "Légende" grâce à de nombreuses brochures qui vantent ses "exploits" et sont vendues par milliers d'exemplaires, ce qui provoque l'ire de Wallace; d'un autre côté, une partie de la population se lasse de ce désordre et Pat se doit d'agir s'il veut conserver cette stabilité à laquelle il aspire, malgré son Amitié pour ce jeune fou; c'est là un drame typiquement "cornélien" qu'on trouvait dans les trois oeuvres précédentes, d'où mon impression d'une synthèse.
Nous avons la sensation de nous trouver devant une certaine ambiguïté : d'un côté, un adolescent s'amuse à taquiner la justice, croyant en une sorte d'impunité; de l'autre un homme mûr est obligé de tuer, sans le souhaiter : "Must be strange, killing your own friends..." lui dit un de ses adjoints, alors que, ayant retrouvé le repaire de Billy, Pat a atteint mortellement un des jeunes gens et s'en montre bouleversé. Les compagnons du Kid ne sont pas prêts à se faire descendre l'un après l'autre alors que, lui disent-ils, "It's your own problem, Billy !"; celui-ci se rend donc, non sans montrer à Garrett qu'il aurait pu résister; il doit être pendu à Lincoln.
On retrouve ici une scène qui figurait déjà dans le film de PECKINPAH, avec un adjoint du shérif lourdement "moralisateur" (qui se présente toutefois comme simplement naïf d'abord, stupidement téméraire ensuite, dans "The Kid from Texas" - dans lequel Pat Garrett ne tient qu'un rôle accessoire) : bien qu'enchaîné, Billy parvient à fuir après avoir abattu ses deux gardiens. Ce double meurtre transforme Pat en chasseur. Billy a retrouvé son aimée, la belle-soeur de Garrett, à Fort Summer; mais les temps ont changé et ses anciens amis lui conseillent de quitter le pays. Il refuse, se croyant toujours populaire; "You are marble, you don't love, you don't hate, you are your own Legend !" lui crie le cousin de Tunstall que l'adolescent vient de traiter de "old man" et qui lui lance cet avertissement : "I can be cruel. Remember that, my dark angel... remember that when you'll fall !". A ce moment, un gosse fait signe au Kid : Garrett arrive. L' "Old Man" vend alors celui qui l'a humilié, mais se donne le prétexte que "It's a brave thing I do, agree..."; mais de réclamer "First the money..." et d'insister, une larme glissant de son oeil jauni par l'usage d'alcool : "You admit I am brave ?" et d'obliger le shérif de confirmer : "Yes,... very brave...", avant de donner l'information et de se resservir un verre. Scène fortement tragique que ce choc de trois mauvaises consciences : Billy qui ne croit plus en rien, le cousin Tunstall qui se cherche une dignité, Garrett enfin qui fait un boulot qui ne l'enchante guère : "It's my duty... He is bad..." dit-il à sa belle-soeur. Cette même nuit, il tue le jeune homme désarmé qui cherchait quelque chose à manger; il reste pétrifié, seul, et une larme coule sur sa joue pâle tandis qu'un groupe emmène le corps du Kid dans l'église.
Ce téléfilm de 1989 - dont Chisum est à nouveau absent (comme il l'était encore dans la version de NEUMANN) - marque bien, comme déjà en 1962 "The Man who shot Liberty Valance" du vétéran John FORD, le passage douloureux de l'Ouest sauvage à la Loi.

La période de la vie du Kid qui suit la tuerie de Lincoln sur laquelle s'achevaient "Young Guns" et "Chisum" fait l'objet d'un "Young Guns II", signé par Geoff MURPHY en 1990.

Cette époque avait été, à deux reprises déjà, brillamment illustrée par Kurt NEUMANN en 1950 dans "The Kid from Texas" - avec un souffle romantique extraordinaire qui fait mourir le Kid (Audie MURPHY) alors qu'il est revenu écouter son aimée (Blanche, dans cette version) jouer la "Valse de l'Empereur" de Johann STRAUSS Fils, au piano ! -, mais surtout par Arthur PENN en 1957 avec "The Left-Handed Gun", un film qu'on regarde toujours le souffle court.
Ce dernier est déjà composé comme une tragédie "classique" (au niveau des sentiments, à défaut de la triple unité de Temps, de Lieu et d'Action) et s'inspire, via Leslie STEVENS, du scénario de Gore VIDAL qui a donné - quelque trente ans plus tard ! - naissance au téléfilm de GRAHAM. L'historien Jean TULARD rapporte cette déclaration d'Arthur PENN à un journaliste : "Le Gaucher, c'est Oedipe dans l'Ouest. Il y a, dans le western, des conventions, un rituel, une simplicité mythique qui en font un merveilleux moule tragique." {in : Guide des Films 1, p.926}. Après l'assassinat de son patron, le Kid (Paul NEWMAN) ne pense qu'à le venger; c'est que ce pacifiste qui lui avait interdit de porter une arme représentait pour l'adolescent comme un deuxième père en puissance bien qu'ils se connussent peu. Il s'allie avec deux autres jeunes employés de Tunstall, Tom et Charly pour abattre deux des assassins dont le shérif. Il a rencontré Pat GARRETT, qui a compris son acte sans l'approuver vraiment : "We don't kill a sheriff !" dit-il aux jeunes gens qui l'ont rejoint à Madeiro. Il le protège néanmoins et le cache. Arrive la proclamation de l'Amnistie; Garrett y voit la fin des conflits entre petits éleveurs comme feu Tunstall et grands propriétaires qui cherchaient à ménager leur monopole. Hélas, Billy réalise qu'on le croyait mort à Lincoln et que, par conséquent, l'amnistie couvre les meurtriers de son défunt protecteur, non lui-même ; cette révélation le libère et il part achever sa vengeance. Impulsif, incapable de penser avant d'agir, il tue le dernier homme, bien qu'il eût donné sa parole d'attendre, pendant la fête du mariage de Garrett qui se retourne contre son jeune ami et accepte le poste de shérif qu'il venait pourtant de refuser de celui-là même qui git à ses pieds dans le silence de cette fiesta interrompue. Il arrête Billy qui devient une vedette et en prend conscience; ses amis sont tués et l'adolescent exprime son sentiment d'échec : "I lost Tom, I lost Charly. I can't read...". Un certain Moultrie (Hurt HATFIELD) se veut son biographe, mais découvre la faiblesse existentielle du Kid qui n'a rien d'un héros; "You are not Him !" s'exclame l'écrivain, exprimant ainsi la distance entre le mythe et la réalité. Garrett tuera le Kid désarmé.
On ne peut s'empêcher ici de faire le rapprochement entre cette mort en 1881 et celle de Jesse JAMES, tué désarmé et d'une balle dans le dos par Bob Ford en 1882. Ici toutefois, le meurtrier est le premier à regretter, non la mort du Kid, mais les circonstances de cette mort qu'il n'a pas voulues...

Le film de Sam PECKINPAH couvre la dernière année du Kid, mais il est davantage centré sur la personnalité de son ex-ami et meurtrier Pat GARRETT, ainsi que l'ordre de leurs noms dans le titre le suggère. Plus intéressant encore, il en existe deux versions fort différentes :
En 1973, une fois les prises de vue terminées, l'oeuvre échappe à son réalisateur (comme cela s'était passé déjà en 1964, avec "Major Dundee") et les producteurs sortent un produit de 106 minutes, amputé de nombreuses scènes et doté d'un montage "traditionnel".
En 1991, une nouvelle copie est présentée en vidéo et à la télévision (nous ignorons si elle fut montrée en salles aux Etats-Unis); d'une durée de 122 minutes selon le "Maltin's 1992" (12), elle retrouve principalement la scène de l'assassinat de GARRETT (James COBURN) en 1909, ce qui renforce le centrage vers ce personnage, au détriment de celui du jeune hors-la-loi (Kris KRISTOFFERSON).

Le nouveau montage, réalisé selon les intentions premières de PECKINPAH - hélas décédé entre-temps -, s'ouvre sur un générique particulièrement percutant pour lequel deux scènes sont montrées simultanément, en montage alterné : d'une part l'assassinat de GARRETT, filmé en sépia comme s'il s'agissait d'un document tourné en 1909; d'autre part le massacre à coups de revolvers de poules dans leurs nids par Billy et ses compagnons que vient rejoindre Pat, encore proche du Kid en ce début de 1881 où la scène, filmée en couleurs cette fois, est située. L'ensemble impose l'idée d'une exécution sordide, bestiale même puisqu'il n'y est laissé aucune place à un quelconque sentiment humain; cette impression est suggérée au moyen d'un montage proche de celui utilisé par Serguei M. EISENSTEIN en 1924, dans la séquence de l'assaut contre les ouvriers entrecoupée de vues d'un abattage de boeufs, dans le classique "Statchka" - "La Grève" en français.

Les deux versions donnent la même séquence de la mort du Kid, dont l'esprit est plus ou moins repris par GRAHAM dans son téléfilm; elles contiennent toutes deux cette apostrophe martelée, syllabe par syllabe, par Garrett à la face du jeune policier qui l'accompagnait dans cette expédition mortelle, au moment où cet homme - qui n'a pas osé tirer lui-même - s'apprête à couper sur le cadavre le "doigt de la gâchette" pour l'exhiber devant les éleveurs du comté de Lincoln : "What you want, and what you get... are two different things !". Cette fois, Garrett est poursuivi par l'opprobre populaire, au contraire de la version d'Arthur PENN où l'acte de Pat restait confidentiel, la mort du Kid n'ayant alors que cinq témoins, aussi désolés sur le plan de la forme que ceux qu'on retrouvera dans le téléfilm de GRAHAM.

L'idée de raconter cette histoire du point de vue de Pat GARRETT avait déjà été utilisée en 1950 dans "I Shot Billy the Kid" de William BERKE; je n'en ai malheureusement pas encore trouvé de copie.

La légende du Kid fait l'objet du curieux film de Clyde WARE "Bad Jim" (1990). Après sa mort - l'action est située en 1881, un lieutenant du Kid (Pepe SENNA) cède son cheval à un jeune cow-boy (John Clark GABLE dont s'est le premier rôle à l'écran); celui-ci donne au coursier le nom de "Jim" et entreprend avec ses deux copains (James BROLIN et Richard ROUNDTREE) une carrière de hors-la-loi en se faisant passer pour la bande de Billy. Même avertis de la mort du Kid, les premiers banquiers ainsi volés croient aisément à sa résurrection et donnent l'argent à ces apprentis sans tirer un coup de feu; une "posse" impressionnante se met à leur poursuite, mais ils sont sauvés grâce à l'exceptionnelle puissance de "Bad Jim". Le propos est naïf, mais révélateur : cest, évidemment, le Mythe qui triomphe ! Mais, le Mythe nest-il pas précisément le sujet même du genre Western ?

Notons pour terminer, provisoirement, que Pat GARRETT a apporté une deuxième pierre à cette Légende, en publiant sa propre version des faits (13) ; voilà qui est très « américain »

(mardi 14 août 2001)

NOTES :

1. CinémAction n°53, le remake et l'adaptation. CORLET/TELERAMA, octobre 1989, p.82.

2. Wayne Michael SARF : God Bless You, Buffalo Bill : A Laymans Guide to History and the Western Film. ASSOCIETED UNIVERSITY PRESSES, 1983 ; plus particulièrement, pages 119 à 139.

3. John TUSKA : The Amerikan West in Film : Critical Approaches to the Western. GREENWOOD PRESS, 1985 ; pp. 149 à 167.

4. GROLIER ENCYCLOPEDIA. N.Y. : GROLIER SOCIETY, 1957 ; Vol. 3, p.261 in Tome 2, B.-CAM.

5. Robert M. UTLEY : Billy The Kid, A Short and Violent Life. I.B. TAURIS & Co, 1990 ; pp. 273-284.

6. Note de UTLEY : "Paul A. Hutton, "Billy the Kid as Seen in the Movies", Frontier Times 57 (June 1985): 24-29".

7. UTLEY, op. cit., pp. 200-201 et 270.

8. Depuis la rédaction de ces lignes, vers 1994, j'ai découvert louvrage de Stephen TATUM : Inventing Billy the Kid, Visions of the Outlaw in America, 1881-1981. THE UNIVERSITY OF ARIZONA PRESS, 1997. 242p.

9. Phil HARDY : The Western. AURUM FILM ENCYCLOPEDIA, 2d edition 1991 ; pp. 117-118.

10. Jean TULARD : Guide des films, tome 2. ROBERT LAFFONT/ Bouquins, 1990 ; p.584.

11. Phil HARDY, op. cit., p.139.

12. Leonard MALTIN : Movie and Video Guide 1992. SIGNET BOOK, 1991 ; page 925.

13. Pat F. GARRETTs The Authentic Life of Billy, the Kid. An annotated Edition With Notes and Commentary by Frederick NOLAN. UNIVERSITY OF OKLAHOMA PRESS, 2000 ; 198p.