Notes sur le Western
La Frontière 1

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Une notion essentielle du Western, à la fois géographique, historique et morale

INTRODUCTION :

Dans une chambre au charme provincial une jeune fille pleure; sa grand-mère vient la rejoindre et cherche à lui remonter le moral. "Si ton rêve est de faire du cinéma, lui dit-elle en substance, tu n'y arriveras pas en pleurnichant à la première moquerie, mais en te battant pour le réaliser; ton grand-père et moi voulions bâtir un Nouveau Monde, nous avons pris un chariot et nous avons avancé vers l'Ouest; nous avons affronté la chaleur torride des jours comme les gelées nocturnes, il est mort transpercé par la flèche d'un Indien, je l'ai enterré de mes propres mains et j'ai continué à cultiver; je te donnerai l'argent nécessaire, mais réalise ton rêve en agissant; il y a toujours un chariot à prendre, le tien s'appelle Hollywood." Tel est, en résumé, le discours aimant qui lance Esther Blodgett (Janet GAYLOR) sur la voie des studios dans la première version de "A Star is Born", réalisée en 1937 par William WELLMAN.

Le message est clair : réussir sa vie passe par le franchissement d'une frontière, physique jadis - correspondant à un itinéraire, ce qui est d'une certaine manière encore le cas dans notre exemple -, morale - dans le sens d'un dépassement de soi et de ses inhibitions - toujours.

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1. NOTION GEOGRAPHIQUE.

Dans la notice d'introduction au volume consacré au Western de l'Aurum Film Encyclopedia, Phil HARDY nous propose une vision plus tangible de la Frontière dont il nous rappelle que "the frontier, and more particulary, the frontier between the Civil War and the turn of the century, forms the backdrop to most Westerns. The word 'most' is important. Films set in the Colonial period like « Drums along the Mohawk » (1939) and « Northwest Passage » (1940), and films set after 1900, like « Lonely are the Brave » (1962) and « Westworld » (1973), cleary share enough important features of the genre and in some sense present themselves as Westerns to a degree that they can be usefully included in a broad notion of the genre." C'est que ces films comportent "an equally important element idea of the frontier, of the West. It is to this idea that the above films direct themselves in various ways."; l'Ouest représente toutefois un ensemble d'éléments concrets "like pioneering, making fertile what was desert, bringing law and order where there was only chaos, etc." et Hardy précise : "The West, or at least the 'big themes' of the West are not necessarily present in all Westerns, but it is noticeable that even series Western that are purely action-oriented were as often as not promoted by association with the idea of the West.", laquelle idée peut, dans certaines promotions publicitaires des films, être réduite "not merely with the years between 1860 and 1900 but, to borrow one of the copywriters' favourite phrases, with times 'when men were men...'." ! L'Ouest est donc un modèle de virilité pour les nouvelles générations qui vivent de l'héritage de cette Conquête. L'auteur remarque néanmoins que "However, this view of the West is only one of many. Just as the frontier can be celebrated as tthe place where men wore six-guns and were free to use them, so it can be described as a place where lynch law took the place of justice, food was scarce and culture non-existent.". (1)

Pour la première fois, nous constatons donc que la notion de "Frontière" n'est pas plus monolithique que celle de "Western" même ! Et Hardy nous propose d'illustrer son propos :
"These different Wests have each their mark on the Western, as a brief comparison between John Ford's "My Darling Clementine" and William Wellman's "The Ox-Bow Incident" (1943) makes clear.". Le premier film nous montrerait - nous aurons à le vérifier dans le chapitre que nous consacrerons à la Loi - "Tombstone's transition from a place of frontier savagery to an outpost of civilization", alors que dans le second, "Wellman and writer Lamar Trotti's frontier is one where fear and ignorance rule and where justice is trampled on in the search for a quick and easy solution to the problem posed by the three wandering cowboys who might have killed a local rancher.".

Ce sont bien là deux visions antinomiques de la Frontière. Et de constater : "The fact that Henry Fonda is the hero of both films makes the contrast between them all the more visible." (1).

Ces deux conceptions expliquent que le même héros légendaire peut avoir, d'un film à l'autre, un éclairage très différent; ainsi que le fait remarquer Henry Nash Smith dans son livre "Virgin Land" - cité par Hardy : "witch was the real Boone, the standard bearer of civilization and refinement or the child of nature who fled into the wilderness before the advance of the settlements ? ... the image of the Wild West Hero could serve either purpose." (2).

Ainsi, la Frontière serait-elle à la fois un choix de société et un lieu de mutation personnelle pour l'individu qui la parcourt; le passage du règne de l'Instinct à celui de la Raison et de l'Ordre.

Jai toutefois relevé cette page étonnante extraite de la neuvième lettre de George CATLIN, écrite en 1832 au confluent de la Yellowstone, cours supérieur du Missouri; on pense immanquablement au mythe du "bon sauvage" cher à Jean-Jacques ROUSSEAU :

"(...)
En parcourant les immenses paysages de l'Ouest historique, l'esprit du philanthrope déborde d'admiration. Mais pour atteindre ces contrées il est contraint de s'éloigner de la clarté que répand la vie civilisée et de passer par les différentes étapes de la civilisation qui vont en se dégradant jusqu'à atteindre un stade en tous points déplorable sur la frontière même; après il traverse la misère et la pauvreté absolues héritées de la déchéance de la vie primitive où les dons innés de liberté et d'indépendance ont été détruits par la contagion de la débauche et des vices apportés par la frange immorale de la société civilisée. Le voyageur se hâte de franchir cette sombre et profonde vallée, comme si une peste s'en était emparée, pour remonter et déboucher dans le royaume fier et chevaleresque de la société primitive dans son état de nature, hors d'atteinte de la contamination du monde civilisé. Là, il découvre nombre de raisons de s'enthousiasmer et de s'émerveiller. Même en ce lieu se rencontrent les farouches impulsions de l'âme primitive, la férocité et la cruauté, mais fréquemment contenues et maîtrisées par les plus nobles manifestations de l'honneur et de la clémence. Voilà des hommes qui vivent, jouissent de la vie et de ses plaisirs, pratiquent ses vertus et dont la valeur est bien supérieure à celle que leur attribue le monde qui a tendance à juger les sauvages et leurs vertus en se basant sur les malheureux individus dégradés et humiliés qui sont les seuls offerts aux regards le long de la frontière. Depuis l'installation de nos premières colonies sur la côte atlantique jusqu'à ce jour, le fléau que constitue cette frontière funeste les repousse continuellement du nord au sud de notre pays. Et, comme le feu dans la prairie qui détruit tout sur son passage, leur nom seul échappant à l'oubli, elle les a anéantis et fait disparaître partout où elle est passée. (...) C'est une triste vérité qu'il nous faut regarder en face : les nombreuses tribus qui peuplaient nos états de la côte atlantique ne se sont absolument pas réfugiées dans l'Ouest. On ne les y trouve pas. Elles ont été anéanties par le feu qui les a balayées, les jetant au tombeau en les emportant, à l'exception de leur nom, corps et âmes dans l'oubli." (3).


L'Ordonnance du Nord-Ouest (1787).

L'Histoire de la Frontière passe par l'ordonnance du Nord-Ouest de 1787, rapidement dépassée d'ailleurs puisque cette région se trouvait à lEst du Mississippi au Sud des Grands Lacs ; sa section 14 établissait une distinction significative entre les notions de "Territoire", à l'administration locale, et d' "Etat" qui rattachait l'entité considérée à la Loi fédérale. (4).

A ce propos, TINDALL et SHI remarquent : "The growing demand for orderly government in the West led to the hasty creation of new territories, and eventually the admission of a host of new states." (5).

C'est l'avance de la Civilisation, concrétisée par la victoire de la Loi et des Juges élus par l'ensemble de la population, sur la loi du plus fort - celle des propriétaires-éleveurs - qu'on connaît généralement dans les westerns sous le nom de "law of the West".
Pour passer de l'une à l'autre, il faut vaincre de nombreux périls: géographiques, humains (Indiens, Outlaws, hommes de main des ranchers,...) et moraux - soi-même. Cela se fait souvent, semble-t-il, avec l'aide de Dieu, rappel de cette "Destinée manifeste" que jai déjà évoqué.

Cependant, MM. TINDALL et SHI nous apportent un autre renseignement particulièrement significatif : "In 1861 Nevada became a territory and in 1864 the state of Nevada was admitted in time to give its three electoral votes to Lincoln. After Colorado was admitted in 1876, however, no new states entered for over a decade because the party divisions in Congress. Democrats were reluctant to create states out of territories that were heavily Republican (Note : c'est nous qui soulignons.). After the sweeping Republican victory of 1888, however, Congress admitted the Dakotas, Montana, and Washington in 1889, and Idaho and Wyoming in 1890, completing a tier of states from coast to coast. Utah entered in 1896 (after the Mormons abandonned the practice of polygamy), Oklaoma in 1907, and in 1912 Arizona and New Mexico finally rounded out the forty-eight continental states." (5).
Nous en revenons alors à cette question que se posait Roger TAILLEUR dans son approche "L'Ouest et ses miroirs", abordée dans mon introduction : "y a-t-il changement d'orientation, toujours dans le domaine qui nous intéresse, dans le simple passage d'une administration démocrate à une administration républicaine et inversement ?" (6).
Manifestement, d'après ce que nous venons de lire, la question n'est pas aussi "naïve" (7) que son auteur le suggérait, lui qui notait d'ailleurs - en août 1964, soit quelques mois seulement après l'assassinat de Kennedy - que "L'idée de Frontière... ne connaît pas de frontière." (8).

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L'Homme de la Frontière.

Pierre DOMMERGUES écrit dans son étude sur "L'aliénation dans le roman américain contemporain" :
"Les premiers pèlerins débarqués à Plymouth Rock comme ceux qui fondèrent la "Massachussts Bay Company" avaient opté pour la séparation... soumis à la Bible, à l'Ancien comme au Nouveau Testament, ils n'avaient d'autre préoccupation que de servir Dieu, individuellement et dans un lieu neuf, qu'ils défrichaient pour sa gloire.
Le même désir de séparation anime le pionnier : il quitte l'Est comme le pèlerin avait quitté l'Europe. Il part seul à la conquête de la terre et n'éprouve de satisfaction que dans l'instant de la découverte, dans le déplacement de la frontière, qui cesse de l'intéresser dès lors qu'elle s'immobilise. Sitôt que la société se reconstitue, l'authentique pionnier reprend la route, une route où il s'allie parfois contre l'ennemi commun, mais qu'il préfère ouvrir seul. La solitude est recherchée : c'est un défi à la civilisation. C'est aussi la certitude que le chemin du pèlerin est solitaire et qu'il appartient à chacun d'organiser sa solitude.
Il ne faut pas surestimer l'importance de ce choix historique et religieux, dont les romans de Fenimore Cooper, aussi bien que les westerns, ont donné une image légendaire. Il ne faut pas, non plus, affirmer que ce choix est un mythe sans fondement." (9).

Cette affirmation de la solitude se retrouvait déjà dans l'étude de MM. Mauduy et Henriet ; "L'homme du western est toujours seul.", écrivaient-ils (10).
Notons toutefois la différence fondamentale entre les personnages des romans de Cooper tels que la trilogie que constituent "Le tueur de daims", "Le dernier des Mohicans" et "La prairie", relayés au Cinéma par des personnages exceptionnels comme "Jeremiah Johnson" mis en scène par Sidney POLLACK en 1972; et.........
Tous ne peuvent chanter comme Ben Rumson (Lee MARVIN) dans la comédie musicale "Paint your Wagon" filmée par Josuah LOGAN en 1969 : "I was born under a wand'rin' Star." !, et il faut correctement interpréter le titre de ce merveilleux film de King VIDOR qu'est "The Man without a Star", réalisé en 1955... Nous aurions également à méditer sur le dépassement de soi à la fois solitaire et plein de solidarité que nous montre ce magnifique "western crépusculaire" qu'est "Bite the Bullet" de Richard BROOKS en 1975.
Les pionniers avancent en convois, avec femme et enfants, pour se fixer sur leur "Terre promise", point sur lequel je peux rejoindre Pierre DOMMERGUES.

Dans "Santa Fe Trail" qu'il réalise en 1940, Michael CURTIZ introduit ce carton explicatif "Fort Leavenworth, Territoire du Kanzas, dernier poste avancé de l'armée entre la civilisation et Santa Fe"; l'action proprement dite se déroule en 1854.

En 1954, "River of No Return" d'Otto PREMINGER nous permet d'approfondir la question. Nous sommes dans le Nord-Ouest des Etats-Unis en 1875; dans des circonstances quil nest pas nécessaire de rapporter ici, le fermier Matt Calder (Robert MITCHUM) fait la connaissance de la chanteuse de cabaret Kay (Marilyn MONROE) dans un camp de chercheurs d'or où il doit retrouver son fils Mark; peu après, Kay est abandonnée par son ami Harry Weston (Rory CALHOUN) pressé de faire enregistrer une concession qu'il a gagnée au jeu et, pour ce faire, a "emprunté" le cheval de Matt; les Indiens attaquent et seule la rivière peut permettre aux Calder et à Kay à la fois de leur échapper et de rejoindre la ville vers laquelle Weston a fui. Le voyage qu'ils entreprennent s'effectue, d'un point de vue géographique, dans le sens inverse de la tradition de la frontière, soit ici de la sauvagerie à une certaine forme de "civilisation"; en même temps, il ne réussit malgré son caractère périlleux que grâce à leur volonté, leurs efforts incessants, une forme de dépassement de soi. Lorsque, dans l'avant-dernière séquence, Kay chante "There's a River, called the River of No Return", elle semble célébrer ce cours d'eau qu'on ne peut remonter du fait de la force de son courant, mais reconnaît d'une certaine manière le caractère irréversible de son attirance pour Matt qui vient d'ailleurs l'arracher à son saloon pour l'épouser dès la fin de sa chanson.

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NOTES DE LA PARTIE 1 :

1. Phil HARDY : The Western. AURUM FILM ENCYCLOPEDIA, 2d edition 1991, p. xi.

2. Idem, p. xii ; Lire : Henry Nash QMITH : Virgin Land, The American West as Symbol and Myth. HARVARD UNIVERSITY PRESS, 1978. 305p.

3. George CATLIN : Les Indiens dAmérique du Nord. ALBIN MICHEL/ Terre indienne, 1992 ; pp. 87-88.

4. O. VOILLIARD, G. CABOURDIN, F. DREYFUS et R. MARX : Documents d'Histoire, t.1, 1776-1850, ARMAND COLIN/U2, 1964 ; pp. 12-13.

5. George Brown TINDALL, David E. SHI : America, A Narrative History. W.W. NORTON, brief third edition 1993 ; p.492.

6. Le WESTERN, U.G.E./ Coll. 10/18 n°327-330, 1966 ; p.34.

7. Id., p.35.

8. Id., p.27.

9. Id., pp. 132-133.

10. J. MAUDUY, G. HENRIET : Géographies du Western. NATHAN/Université Arts, 1989 ; p.205.

(créé mercredi 15 août 2001)