2. NOTION IDEOLOGIQUE - de la théorie de TURNER à la "Nouvelle Frontière" de KENNEDY. Lorsque nous parcourons les ouvrages concernant l'Histoire des Etats-Unis ou celle de la culture américaine, nous constatons que la notion de "Frontière" qui y est développée repose essentiellement sur la théorie de l'historien américain Frederick Jackson TURNER. Celà apparaît paradoxal, lorsque nous constatons, d'une part, que l'oeuvre de Turner "The Signifiance of the Frontier in American History" date de 1893 - soit trois ans après le massacre de Wounded Knee qui marque officiellement la "fin de la Frontière" -, ce qui en fait une sorte d'idéologie rétroactive; d'autre part, que les années 1960 ont vu l'expression de la "New Frontier" du président John F. Kennedy... Que proclament ces deux formulations de la Frontière ? 1.4.2.1.: Frederick Jackson TURNER. TURNER écrit que "The existence of an area of free land, its continuous recession, and the advance of American settlement westward, explain American development."; et il ajoute que c'est "to the frontier" (c'est-à-dire : "dans le sens, dans l'esprit de la Frontière") que "the American intellect owes its striking characteristics. That coarseness and strength combined with acuteness and acquisitiveness; that practical, inventive turn of mind, quick to find expedients; that masterful grasp of material things, lacking in the artistic but powerful to effect great ends; that restless, nervous energy; that dominant individualism, working for good and for evil, and with all that buoyancy and exuberance which comes with freedom - these are traits of the frontier, or traits called out elsewhere because of the existence of the frontier." (11) Quant à KENNEDY, il proclamait dès sa campagne électorale pour la Présidence : "We stand today on the edge of a New Frontier - the frontier of unknown opportunities and perils - a frontier of unfulfilled hopes and threats." (12). Plusieurs auteurs ont effectué, au fil du temps, une analyse critique complète de la pensée de Turner et des réactions qu'elle a suscitées - en positif comme en négatif. L'historien français Claude FOHLEN consacre en 1969 le dernier chapitre de son ouvrage "L'Amérique anglo-saxonne de 1815 à nos jours", publié dans la collection "Clio" des P.U.F. à "La frontière : une explication de l'histoire américaine ?". L'auteur effectue l'analyse de la pensée de Turner et sa critique en deux parties distinctes. Pour la facilité de notre lecture, nous allons opérer la synthèse des éléments essentiels pour chacun des cinq points de base : "1. Le mouvement vers l'Ouest s'explique par la présence d'une large étendue de "terre libre"." et de citer Turner : "(...) Au fur et à mesure que les terres de l'Est étaient occupées, les immigrants progressaient vers l'Ouest... L'immigrant était incontestablement attiré par les terres à bon marché que l'on trouvait sur la frontière et qui exerçaient également un attrait sur les fermiers du pays... Ainsi, par l'effet de cette faim de terre et de la soif de liberté, la frontière ne cessa de progresser. (...) Les étapes inégales de l'avance nous obligent à distinguer la frontière du commerçant, la frontière du rancher (éleveur), la frontière du mineur et la frontière de l'agriculteur." et Claude Fohlen conclut : "(...) La thèse est fondamentalement agrarienne. (...) Ainsi l'avancée de la Frontière correspondait à des bonds successifs plus qu'à un processus continu." (13). Nous verrons dans les chapitres ad hoc comment ces affirmations sont reflétées dans les Westerns. Cependant, Claude Fohlen nous fournit quelques éléments critiques essentiels : "Les terres libres de l'Ouest ressortent du mythe. Turner... se représentait naïvement l'Ouest comme ouvert au pionnier qui faisait son choix de terres, moyennant un paiement peu important. Vue purement théorique... (...). La mesure la plus importante pour la distribution des terres est le Homestead Act de 1862, en vertu duquel tout citoyen ou individu désireux de devenir citoyen américain pouvait obtenir gratuitement un terrain de 160 acres, à condition d'y résider et de le cultiver pendant cinq ans. (...) La spéculation et la monopolisation des terres continuèrent après 1862, comme auparavant. L'un des agents les plus effectifs de cette monopolisation, ce furent les Compagnies de chemins de fer." (14). "Johnny Guitar" de Nicholas RAY illustre parfaitement cette spéculation liée à l'avance du chemin de fer. Poursuivons l'examen des thèses de TURNER : "2. La Frontière est génératrice d'individualisme." Turner écrit toutefois : "Bien que l'individualisme de la frontière qui dominait aux premiers temps de l'avancée vers l'Ouest ait survécu en tant qu'idéal, les individus en lutte les uns contre les autres, aux prises avec des espaces et des problèmes de plus en plus vastes, ont reconnu la nécessité de collaborer sous l'égide des plus forts." (15) Et Claude FOHLEN de constater qu' "... on peut d'abord contester que le pionnier ait été aussi individualiste. L'expérience du Homestead Act montre qu'il s'installait à proximité des voies de passage, et non en des endroits isolés. (...) le fermier de la Frontière, loin d'être un ermite, recherchait la compagnie humaine plus que l'isolement. Il avait besoin d'aide, ne serait-ce que pour combattre les Indiens, ou construire sa maison." (16), ce qu'illustrent des films tels que "Drums along the Mohawk" de John FORD ou "3:10 to Yuma" de Delmer Daves, par exemple. "3. La Frontière a contribué à promouvoir la démocratie._ Pour Turner... "Les progrès de la démocratie en tant que force effective dans la nation ont été obtenus avec la prépondérance de l'Ouest sous Jackson et sous Harrison, et ils signifiaient le triomphe de la frontière, avec tout ce qu'elle avait de bon et de mauvais." Turner a certainement contribué à populariser cette idée des grands présidents "démocrates", tous originaires de l'Ouest." (17). Mais Claude FOHLEN conteste cette vision des choses et constate que "Plus discutable encore est l'affirmation relative aux institutions démocratiques. (...) La Société de l'Ouest fut rarement égalitaire, et des différentiations sociales se développèrent, comme ailleurs, à supposer même qu'elles n'aient pas préexisté. (...) Jackson n'est plus considéré comme l'incarnation de la Frontière, et la démocratie jacksonienne s'explique davantage par l'influence des villes de l'Est et les transformations économiques et sociales des Etats-Unis (débuts de la révolution industrielle, révolution du marché) que par le rôle de la Frontière." (18). On peut rappeler le changement radical d'attitude d'un Davy Crockett concernant Jackson, ce qu'illustrent des films comme "Davy Crockett, King of the Wild Frontier" de Norman FOSTER en 1956 et "Rainbow in the Thunder" de David HEMMINGS en 1988. "4. La Frontière a été le berceau de l'américanisation, ... elle a forgé un caractère américain, individualiste, démocratique, mais aussi optimiste, pragmatique." (19). Et de citer Turner : "La progression de la frontière a correspondu à une libération progressive vis-à-vis de l'Europe et à un essor continu de l'indépendance sur des bases américaines. Etudier le déplacement de la Frontière... et la condition des hommes qui vécurent à cette époque, c'est étudier la partie véritablement américaine de notre histoire. (...) La frontière est le facteur d'américanisation le plus rapide et le plus efficace. La nature sauvage s'impose au colon. Elle accueille un homme aux vêtements, aux activités, aux instruments, aux modes de transport et de pensée européens, le fait passer du wagon de chemin de fer au canot d'écorce, le dépouille des divers attributs de la civilisation pour lui faire porter des mocassins et des vêtements de chasse. Puis elle l'installe dans la cabane de rondins des Cherokees ou des Iroquois et dresse autour de lui une palissade indienne. Le colon sème bientôt du maïs et laboure le sol avec un bâton pointu..." (19). Et Claude FOHLEN poursuit son analyse : "Les vagues successives d'immigrants se sont déversées sur la Frontière où elles "ont été américanisées, libérées et fondues en une race mélangée, qui n'était anglaise ni par la nationalité ni par les caractères", par opposition à la région côtière demeurée plus anglo-saxonne... (...) L'Ouest avait besoin de routes..., de canaux..., de chemins de fer pour transporter ses productions et importer ce dont il avait besoin. Rien n'a autant fait pour l'unité nationale que ces travaux publics demandés par l'Ouest." (20). Claude FOHLEN, s'appuyant sur les travaux de l'historien américain PIERSON, fait remarquer dans sa partie critique : "L'hypothèse de Turner contient des contradictions difficiles à résoudre... A la base, l'hypothèse est nationaliste, puisqu'elle explique la formation de la nation américaine par l'influence de la Frontière. Mais ce nationalisme... n'est-il pas en contradiction avec le "sectionnalisme" qu'implique la notion même de frontière ? Ces moraines successives, dont parlait Turner, ne correspondent-elles pas à des étapes différentes de l'américanisation ? Comment se fait, en fin de compte, l'unification ? (...) d'autres contradictions : l'amélioration de la civilisation est obtenue au prix de l'abandon de la civilisation, et le matérialisme de la Frontière donne naissance à un idéalisme qui s'incarne dans l'attachement à la démocratie et à la création de valeurs nouvelles." (21). Aucun western n'a mieux mis en scène ces contradictions que "Heaven's Gate" de CIMINO; et si il a été rejeté par le public, c'est sans doute parce qu'il a été diffusé à ce moment douloureux du passage de la Présidence de CARTER à celle de REAGAN où des Américains étaient tenus en otage en Iran : cette humiliation "nationale" et la réaffirmation forte par le président républicain des valeurs de l'Amérique - il dit, notamment, dans son discours inaugural : "(...) nous, Américains, nous avons toujours la capacité de faire ce que nous avons fait dans le passé, de faire ce qui doit être fait pour préserver ce dernier et magnifique bastion de liberté." (22) - ne pouvaient qu'augmenter le malaise du public devant la vision peu glorieuse de l'Ouest qui faisait l'essence de ce film-"vérité" dont on a d'ailleurs exploité deux montages différents Si "Heavens'Gate" montrait la face sombre de l'immigration, "Far and Away" de Ron HOWARD en 1992 se rapproche davantage de cette théorie du brassage des classes par la Frontière : n'est-ce pas Elle qui permet l'union du fils de paysan irlandais Joseph Donelly (Tom CRUISE) et de la fille de son ancien propriétaire Sharron Christie (Nicole KIDMAN) ? En Irlande, Joseph ne voulait que tuer monsieur Christie, ce bourgeois qu'il jugeait responsable de la mort de son père; en Amérique, les jeunes gens ont vu leurs différences fondre jusqu'au choix final de la jeune fille pour le rêve terrien du paysan irlandais dont elle aura appris à laver les chemises ! "5. La Frontière a servi... de soupape de sûreté à l'excédent de population et aux malcontents de l'Est. Cette idée, absente de l'essai de 1893, se trouve exprimée en 1903 dans Contributions de l'Ouest à la démocratie américaine... Voici comment s'exprime l'hypothèse : "Lorsque les conditions sociales tendaient à se cristalliser à l'Est, lorsque le capital tendait à exploiter le monde du travail ou que les contraintes politiques gênaient la liberté des masses, les libres possibilités de la frontière offraient une issue... Les terres disponibles signifiaient des chances égales pour tous." (...) Turner pensait que la Frontière avait absorbé le trop-plein de la population et les éléments les plus turbulents de l'Est. Mais il ne le dit pas explicitement." (23). Ici, la critique est immédiate : "D'après les recherches, la Frontière a peu attiré les ouvriers mécontents de l'Est. (...) Peu de salariés ont été tentés par les terres libres de l'Ouest, et spécialement en période de dépression. Par contre, des fermiers l'ont été, mais ils venaient, en général, d'Etats contigus. (...) La soupape de sûreté, c'est en définitive la ville, car elle seule continue à attirer une population, d'origine rurale. Le mouvement est à sens unique, de la campagne vers la ville, et jamais en sens opposé." (24). Nombreux sont, d'ailleurs, les westerns qui portent des noms de villes ou montrent le développement parfois anarchique des villes, telle Abilène devenue un important centre de transit du bétail grâce au chemin de fer. C'est l'habituel exode rural, phénomène quasi universel depuis le XIXè siècle et qui est loin d'être terminé... Après avoir ainsi examiné en détail la thèse de Turner et ses objections ponctuelles, signalons la remarque essentielle retenue par Claude FOHLEN, à savoir "L'imprécision de la notion de Frontière" : "Turner a confondu en un seul terme des aspects différents. Fondamentalement, la Frontière est une expression géographique, que l'on peut considérer soit comme une ligne, soit comme une zone, au contact de la civilisation et de la sauvagerie. C'est en ce sens que le Directeur du Recensement, en 1890, parlait d'une "Frontière". Mais selon Pierson, "la Frontière n'était pas simplement un espace et une société éparpillée de trappeurs, chasseurs et pionniers. C'était aussi un processus, plus spécialement l'ensemble de processus pour conquérir le continent...". (...) De plus, Turner entretient une confusion entre les termes "Frontière" et "Ouest" qui ne sont pas synonymes. Par Frontière, il entend parfois un Ouest qui ne possède plus les caractères originaux de la Frontière." (25). En quelque sorte, cette dernière constatation marque la différence entre un western que nous pourrions qualifier d' "historique" - correspondant à la Frontière - et le western "moderne" - correspondant à l'Ouest contemporain dans la mesure où il est imprégné de nostalgie ou comprend des caractères semblables à ceux qui appartiennent d'une certaine manière à la mythologie traditionnelle, actualisée - telle la notion d' "itinéraire", par exemple. En 1993, le professeur Daniel ROYOT a consacré, dans la collective "Histoire de la culture américaine" également publiée par les P.U.F., un chapitre à "L'espace américain : Frontière et aires culturelles" dont la première partie "La Frontière et l'Histoire" constitue une étude exhaustive de la théorie de Turner et des éléments du débat qu'elle suscite. Nous en connaissons déjà les arguments essentiels. Du côté anglo-saxon, ni "The Oxford History of the American People" de Samuel E. MORISON éditée en 1972, ni "The National Experience, A History of the United States", collectif publié en deux volumes en 1989, ni "America. A Narrative History" de MM. TINDALL et SHI en 1993, ne consacrent de chapitres spécifiques à cette polémique autour des thèses de Turner. Devons-nous en conclure que notre vision "européenne" du problème est déformée, par rapport à une notion qui va de soi ? Je mefforcerai de répondre à cette question lorsque, au fil de mon étude, je serai amené à comparer les commentaires critiques des films que janalyse et dont jai déjà signalé les divergences selon leur origine française, anglaise ou américaine. La Nouvelle Frontière de J.F. KENNEDY. Dans le "Lexique historique des Etats-Unis au XXè siècle", on peut lire la définition suivante de la "New Frontier" : "Programme politique énoncé par J.F. Kennedy le 15 juillet 1960, au moment où il accepte la nomination du Parti démocrate à la Convention nationale de Los Angeles. Ce programme vise à prolonger la New Freedom du Président Wilson et le New Deal. Comme au XIXè siècle, la Frontier a capté les énergies et les initiatives des Américains, Kennedy propose à ses concitoyens de se consacrer à une New Frontier, à la solution des nombreux problèmes des années 1960 : ceux de la science et de l'espace, de la guerre et de la paix, de la richesse et de la pauvreté. Ce n'est pas une suite de promesses qu'il fait, mais une série de défis qu'il propose. Par extension, la New Frontier désigne les trois années pendant lesquelles Kennedy a gouverné les Etats-Unis. Les New Frontiermen sont les membres de son administration. La New Frontier repose-t-elle sur une philosophie politique, ou n'est-elle qu'une expérience pragmatique ? On peut en débattre car Kennedy se refusait à décider s'il était libéral ou conservateur. En dernière analyse, la New Frontier a été caractérisée surtout par une vague de jeunesse et de dynamisme déferlant sur Washington, par le désir d'exceller en tout, dans la politique comme dans la littérature et les arts..." (26). Jusqu'à quel point la "Nouvelle frontière" de KENNEDY a-t-elle pu influencer la vision traditionnelle de la Frontière dans les westerns des années 60 et jusqu'à quel point cette vision kennedyenne a-t-elle créé ce qu'on appelle le "western crépusculaire" ? Il est clair que si TURNER faisait d'abord appel à une notion géographique, les deux réflexions - et surtout celle de KENNEDY - portent principalement sur un aspect philosophique, caractérisé par cette forme de "dépassement de soi", que jai relevée dès le début de ce chapitre. _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
3.: NOTION MORALE - du « dépassement de soi". De ce point de vue, on peut diviser les westerns en deux grandes catégories centrées sur les individus (trappeurs, chercheurs dor, etc...) ou sur des collectivités (colons, groupes de la Cavalerie, cow-boys conduisant un troupeau, etc...). Je ne ferai ici que poser le problème. La plupart des films qui se fondent sur cette thématique constituent le récit de véritables parcours initiatiques. Les individus. Quand le jeune Jeremia Johnson (1972) débarque dans lOuest, il a tout à apprendre; il ne sintégrera quaprès une longue lutte contre les Crows dont il a profané un cimetière, et après la disparition tragique de sa famille qui a constitué la sanction immédiate de son acte impie. Le sujet principal des films et téléfilms tirés du roman de Jack LONDON Call of the Wild (publié en 1903), est la découverte de soi-même par le héros; lincarnation faite par Ricky SCHROEDER dans le téléfilm de 1993 est particulièrement éloquente de ce point de vue; et la mort du héros même ny change rien... Les groupes : les colons. Dans "Drums along the Mohawk" réalisé en 1939, John FORD nous montre les difficultés rencontrées par deux jeunes mariés, Gilbert (Henry FONDA) et Lana (Claudette COLBERT) Martin, avant de pouvoir s'installer en paix comme fermiers en Nouvelle-Angleterre vers 1776; pour cela, ils doivent d'abord vaincre les terribles indiens Mohawks en accord avec les autres colons, mais aussi s'adapter à leur nouveau mode de vie. Le même réalisateurs nous raconte en 1950 la difficile progression d'un convoi de Mormons vers le "Terre promise" : c'est le splendide "Wagon Master"; le sujet avait été traité par Henry HATHAWAY en 1940 dans Brigham Young Frontiersman. Dans "Far and Away" (1992), Ron HOWARD reprend ce thème : ce n'est qu'après un long et dur trajet initiatique que le fils de paysan irlandais (Tom CRUISE) peut s'installer dans une vallée de rêve en Oklahoma avec la fille de son ancien propriétaire (Nicole KIDMAN). The Way West dAndrew V. McLAGLEN (1967) est hybride dans la mesure où les colons parmi lesquels Richard WIDMARK simaginent partir simplement pour lOrégon et devront vaincre de nombreux périls avant de se trouver sur la bonne voie, mais où le scénario concerne plus particulièrement le destin individuel du sénateur visionnaire incarné par Kirk DOUGLAS; le guide indiens presquaveugle incarné par Robert MITCHUM est lélément qui permet la communication entre le moteur et le convoi. Les groupes : les Cavaliers. En 1949, John FORD nous présente la noble figure du capitaine Nathan Brittles (John WAYNE) menant sa dernière et périlleuse mission avant sa retraite dans "She wore a Yellow Ribbon"; le capitaine est assisté des deux jeunes lieutenants Cohill (John AGAR) et Pennell (Harry CAREY Jr), du pratique sergent Tyree (Ben JOHNSON) et du monumental sergent Quincannon (l'éternel Irlandais Victor McLAGLEN) très porté sur le whisky; il reprendra du service comme colonel-éclaireur pour achever la guerre contre les Indiens qui ont vaincu l'armée de CUSTER à Little Big Horn. On retrouve un semblable sujet dans "The Command" de David BUTLER en 1954; un médecin-lieutenant (Guy MADISON) est contraint de diriger une patrouille suite à la mort de l'officier; il la sauvera et acquerra ainsi l'admiration des soldats réticents au départ à obéir à un officier nullement formé sur le plan tactique. "Only the Valiant", réalisé par Gordon DOUGLAS en 1950, est généralement jugé très négativement dans les ouvrages spécialisés (TULARD, Guide des films 1, 888; Le Western, 10/18, p. 243); disposant d'une copie originale plus longue que celles qui sont généralement mentionnées dans les ouvrages français, nous ne pouvons partager ces appréciations. Le film nous présente un groupe de huit cavaliers, dirigés par le capitaine Lance (Gregory PECK) que ces hommes haïssent et cherchent même à éliminer suite à une erreur de jugement de leur part; ce détachement doit résister à un important parti d'Apaches dans le "Fort Invincible" que nous avons vu détruit en ouverture. Très rapidement, nous avons pensé - sans doute à cause du noir et blanc - à "The Lost Patrol" tourné par John FORD en 1934 dans un contexte géographique très différent, celui d'un désert africain : deux groupes réduits, des hommes de caractères très opposés, l'isolement, le danger - les Arabes en 1934, les Apaches en 1950. Ce film annonce d'une certaine manière "Escape from Fort Bravo" de John STURGES en 1953 où des prisonniers sudistes ramenés par l'impitoyable capitaine Roper (William HOLDEN) résistaient dans un trou minuscule à une attaque indienne, aux côtés de leurs geôliers nordistes. Ce thème du groupe harcelé par l'ennemi et dirigé par un chef haï se retrouve encore, par exemple, dans "Fort Massacre" de Joseph NEWMAN en 1958 ou dans "Major Dundee" de Sam PECKINPAH en 1964. Les groupes : les cowboys. Des films tels que Red River (1949) de HAWKS, The Tall Men (1955) de WALSH, Cowboy (1958) de Delmer DAVES - autre film hybride dans la mesure où il sagit surtout de suivre la transformation de Frank Harris (Jack LEMMON), The Cowboys de RYDELL et The Culpepper Cattle Company de RICHARDS - deux films de 1972 consacrés à des cow-boys adolescents suivis en 1974 de The Spikes Gang de FLEISCHER, et les deux télésuites Lonesome Dove et Return to Lonesome Dove, sont autant dexemples de longs parcours dont les héros subissent à cette occasion une véritable maturation. A première vue fort différents, tous ces ensembles se trouvent devant la même obligation : dépasser leurs limites, leurs FRONTIERES pour réussir leur parcours, leur "DESTINEE MANIFESTE" (27). _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ |
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NOTES DE LA PARTIE 2 : 11. Cité par TINDALL & SHI : America, op. cit., pp. 500-501 ; l'ouvrage de TURNER est actuellement introuvable en librairie, mais se trouve sur Internet (VOYEZ mes liens en bas de cette page, s.v.p.). 12. Idem, pp. 886-887. 13. Claude FOHLEN : L'Amérique anglo-saxonne de 1815 à nos jours. P.U.F./ Nouvelle CLIO n°43, 1969 ; pp. 314-315. 14. Idem, pp. 321-322. 15. Idem, p.315. 16. Idem, p.324, 17. Idem, p.316. 18. Idem, p.325. 19. Idem, p.317. 20. Idem, pp. 317-318. 21. Idem, pp. pp. 320-321. 22. Ronald REAGAN : Une vie américaine, Mémoires. J-C. LATTES, 1990 ; p.252. 23. FOHLEN, op. cit., pp. 318-319. 24. Idem, pp. 326 et 327. 25. Idem, p.320. 26. Denise ARTAUD, Régis BENICHI, Maurice VAISSE : Lexique historique des Etats-Unis au XXè siècle. ARMAND COLIN/ LexiquesU, 1978 ; pp. 183-184. 27. La "DESTINEE MANIFESTE". A la géographie et à la vision philosophique du "dépassement de soi", il faut ajouter la notion de "Destinée manifeste" - différente de la deuxième, dans la mesure où elle concerne davantage l'ensemble de la nouvelle Nation américaine que les individus. Il apparaît que la "destinée manifeste" des uns s'est réalisée aux dépens d'autres: Indiens bien sûr, mais aussi Noirs, Mexicains, voire "autres Blancs" dont nous reparlerons plus bas... Le "Lexique historique des Etats-Unis au XXè siècle" propose de cette notion la définition suivante : "La théorie de la Destinée manifeste, selon laquelle le peuple américain est élu par Dieu pour créer un nouveau modèle de société, remonte sans doute à l'arrivée des puritains en Nouvelle-Angleterre au XVIIè siècle. Mais elle a trouvé son expression définitive en 1845 sous la plume d'un journaliste, John O'Sullivan. D'après lui, c'était la destinée manifeste des Américains de se répandre dans tout le continent que la providence leur avait alloué. Cette théorie a servi immédiatement à justifier l'annexion du Texas, plus tard le semi-protectorat sur Cuba et de manière générale toutes les manifestations de l'impérialisme américain." (op. cit., pp. 90-91). Les auteurs de "The National Experience" poussent l'explication de cette logique plus loin lorsqu'ils écrivent que "Unfortunately, intertwined with the thread of democratic idealism was a thread of racism justifying the conquest of Indians and Latin Americans and their subordination to the authority of the North Americans republic. The "grand experiment", politicians and publicists often noted, was to be carried out "under the auspices of the Anglo-Saxon race". American expansionists, when they spoke of "extending the area of freedom", commonly advanced a racial explanation for the political instability and the weakness of democracy in the countries south of the United States. Thus the same racial attitudes that justified Indian removals, the enslavement of blacks in the South, and discrimination again them in the North helped to make manifest America's "destiny" to expand." (BLUM, McFEELY, MORGAN, SCHLESINGER, STAMPP & WOODWARD : The National Experience. Tome 1, A History of the United States to 1877. HARCOURT BRACE JOVANOVICH PUBLISHERS, 1989 ; p.254). Ceci justifierait tant la lutte des Blancs contre les Indiens qui gaspilleraient leurs territoires en ne les exploitant pas, que les réserves des Nordistes face aux Sudistes qui laissent travailler leurs esclaves, ou que leur attitude face aux immigrants dont McPHERSON note que "In the North, three groups resisted aspects of modernization and the Yankee Protestant hegemony that accompanied it : Catholics, especially the Irish; redidents of the southern Midwest, most of them descendant od settlers from the slave states; and some wage laborers." (James M. McPHERSON : Ordeal by Fire, volume I The Coming of War, McGRAW-HILL, 2d edition 1993 ; p.21). Essentielle de ce point de vue est l'étude de Reginald HORSMAN : "Race and Manifest Destiny: The Origines of American Racial Anglo-Saxonism", publiée en 1981 par la HARVARD UNIVERSITY PRESS. John Louis O'SULLIVAN écrivit en 1845 : "Our manifest destiny is to overspread the continent allotted by Providence for the free development of our yearly multiplying millions." (TINDALL and SHI, op. cit., p.337); ou, selon la citation des auteurs de "The National Experience", il existerait dans le chef des Américains une "manifest destiny to overspread and to possess the whole of the continent which Providence has given us for the development of the great experiment of liberty and federated self-government entrusted to us." (National Experience, op. cit.Tome 1, p.254). L'Historien James M. McPHERSON présente dans le premier volume d' "Ordeal by fire, The Coming of War : 1800-1860." une série de constatations intéressantes dans la mesure où elles confirment ces réflexions : "White men ruthlessly and illegaly seized Indian lands and killed the native Americans or drove them west of the Mississippi. The land hunger of Americans provoked armed conflicts with Spaniards and Mexicans whose territory they seized by violence and war. American economic expansion was based in part on slave-grown tobacco and cotton. Born of a revolution that proclaimed all men free and equal, the United States became the largest slaveholding country in the world." (Ordeal by Fire, I, op. cit., p.1). Son analyse s'affine pour nous montrer que les "Hommes blancs" ne forment pas un ensemble homogène, mais se divisent grosso modo en Yankees, Sudistes et Immigrés... Il note, en effet, que dans le Sud "Many planters conceived of their class as an aristocracy." (Ordeal..., I, 52), vision qu'il développe en nous précisant que "Planters subscribed to the code of chivalry with its requirements of honor, courtesy, gallantry toward women, and noblesse oblige (en italiques dans le texte)." (Ordeal by Fire, I, p.53), avant d'énoncer cette théorie qui permet de comprendre certains aspects de la Guerre de Sécession : "From this self-image arose the notion that Southern planters were descended from the seventeenth-century English Cavaliers, while Yankees were descended from the Roundheads, or Puritains. The Cavaliers, in this theory, were in turn descended from the Norman knights who had conquered Saxon England in the eleventh century, while the Puritans were descended from those conquered Saxons." (Ordeal by Fire, I, p.53) ! Et de signaler qu'en 1860, le Southern Literary Messenger publia un article intitulé "The Difference of Race Between the Northern People and the Southern People" (Ordeal by Fire, I, p.53). Toutefois, si l'un et l'autre groupe appartenaient à la mouvance religieuse protestante, McPHERSON nous rappelle l'impact essentiel pour l'industrialisation du Nord de l'éthique puritaine : "Puritan theology, sermons, and maxims contained many biblical quotations and aphorisms emphasizing work as the glorification of God and idleness as the instrument of Satan." (Ordeal by Fire, I, p.14) ! Ceci justifierait tant la lutte des Blancs contre les Indiens qui gaspilleraient leurs territoires en ne les exploitant pas, que les réserves des Nordistes face aux Sudistes qui laissent travailler leurs esclaves, ou que leur attitude face aux immigrants dont McPHERSON note que "In the North, three groups resisted aspects of modernization and the Yankee Protestant hegemony that accompanied it : Catholics, especially the Irish; redidents of the southern Midwest, most of them descendant od settlers from the slave states; and some wage laborers." (Ordeal by Fire, I, p.21). A partir de 1868, de nouvelles nuances sont à apporter à cette vision des choses, au moins d'après les attitudes officielles; en effet, "The white man's policy toward the red man in these years constrasted strangely with his professed policy toward the black man, though both promised uplift by education. The same Congress that devised Reconstruction to bring equality and integration to the Negro of the South approved strict segregation and inequality for the Indian of the West. General William T. Sherman, the deliverer of the Southern slaves, was now in command in the West to enforce policy toward Indians." (The National Experience, Tome 2, p.400). Comme on le voit, la "MANIFEST DESTINY" fait partie intégrante de la thématique de la FRONTIERE. _ _ _ _ _ (notes créées jeudi 16 août 2001)
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