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Fonction royale 2
Chapitre 3 - Part 1

Le Roi nomme et révoque ses ministres

L'article 65, qui était l'un des plus courts de notre Constitution avant la Révision de 1992-1993, est aussi l'un de ceux qui posent le plus de problèmes. Si, depuis 1831, ce texte n'avait jamais été modifié, il faut tenir compte d'une importante évolution de la coutume en la matière. C'est ce que constatait déjà le rapport de la Commission de 1949 lorsqu'elle notait, en son chapitre II, qu' "Aux termes de l'article 65 de la Constitution, le Roi nomme et révoque ses ministres.
Puisqu'aux termes de l'article 29, le pouvoir exécutif tel qu'il est réglé par la Constitution appartient au Roi et que les ministres sont les organes indispensables par lesquels ce pouvoir s'exerce, ce n'est que du Roi que les ministres peuvent recevoir leur charge.
Le pouvoir du Roi de nommer ses ministres est limité aussi bien par l'effet de certaines dispositions de notre charte que par une pratique constitutionnelle constante.
Qu'aux termes des articles 86 et 87, nul ne puisse être ministre s'il n'est Belge de naissance ou s'il n'a reçu la grande naturalisation, ou qu'aucun membre de la famille royale ne puisse faire partie du Cabinet ne prête pas à discussion.
Il est plus important d'observer que l'article 65 ne se suffit pas à lui-même, qu'il doit être interprété - et au cours de notre histoire parlementaire il n'a jamais cessé de l'être - en fonction des différents articles de notre Constitution qui font de la Belgique un pays de régime parlementaire, c'est-à-dire un pays où le Chef de l'Etat irresponsable, titulaire du pouvoir exécutif exerce ce pouvoir avec le concours nécessaire de ministres responsables devant les Chambres. (...)" (1).

Examinons par la pratique ces interprétations, du règne de LEOPOLD 1er à celui du défunt Roi BAUDOUIN.


1. "Le Roi nomme...".

Comment et selon quelles contraintes nos Rois nomment-ils ou désignent-ils effectivement "leurs" ministres ?

Deux situations, se situant respectivement sous les règnes de Léopold 1er et de Baudouin, nous permettent de saisir d'emblée le chemin parcouru par la pratique constitutionnelle :

A. La crise ministérielle de 1864.

"1er mars. Charles ROGIER donne les explications suivantes :
Le 14 janvier, le ministère a remis sa démission entre les mains du Roi. En présence d'une majorité réduite à deux ou trois voix dans la chambre des représentants, et d'une opposition formée d'éléments divers mais systématiquement unis pour le combattre, le cabinet avait constaté que la force lui manquait pour continuer efficacement la gestion des affaires du pays. Prenant en considération les motifs de cette détermination, le Roi s'occupa, sans retard, des moyens de remplacer le cabinet démissionnaire, et fit les tentatives les plus sérieuses pour atteindre ce but. Sa Majesté appela successivement auprès d'elle (plusieurs personnalités du parti catholique). En suite des réponses déclinatoires de ces divers personnages, des rapports s'établirent de nouveau entre la Couronne et les deux chefs de l'opposition parlementaire que j'ai cités plus haut (2), et ceux-ci, par des motifs qu'ils auront sans doute à coeur de faire connaître, déclarèrent définitivement, le 30 janvier, qu'ils remettaient leurs pouvoirs entre les mains de Sa Majesté, pouvoirs qui leur avaient été conférés d'une manière générale et sans conditions. Le lendemain, le Roi me fit l'honneur de m'informer que les efforts qu'il avait tentés pour constituer une administration nouvelle étant demeurés sans résultats, il ne lui restait qu'à inviter les ministres démissionnaires à continuer la gestion des affaires. Je rapportai à mes collègues les paroles de Sa Majesté,... Après avoir délibéré sur la notification qui leur était faite, les ministres écrivirent, le 6 février, à Sa Majesté, qu'ils appréciaient les difficultés qui résultaient pour la Couronne des refus successifs qu'elle avait rencontrés; que, toutefois, ils priaient respectueusement le Roi de considérer, de son côté, les embarras qui entravaient leur marche et les mettaient dans la nécessité de maintenir leurs démissions. Ils demandaient donc avec insistance à Sa Majesté de faire de nouveaux efforts pour arriver à la constitution d'une administration nouvelle. Jusqu'ici nous n'avons pas reçu de réponse de la part du Roi..." (3)

Ce texte nous permet de mettre le doigt sur une première contrainte dont nos Souverains doivent tenir compte : les Chambres sont constituées respectivement de députés et de sénateurs qui sont élus sous les étiquettes de leurs partis; le Roi ne peut ignorer cette réalité inhérente à notre système représentatif : au moment de mettre sur pied un gouvernement, il se doit de tenir compte de l'existence d'une majorité parlementaire susceptible d'accorder sa confiance aux ministres et de leur permettre l'exécution d'un programme.

Le rapport de 1949 observait à ce propos que "Le Gouvernement étant démissionnaire, le rôle du Roi consiste, au cours de ses consultations, à trouver la personnalité qui est susceptible de constituer une équipe ministérielle, de lui donner un programme et d'obtenir la confiance de la majorité des Chambres.
Le formateur doit réunir toutes les informations utiles à l'accomplissement de sa mission. Rien ne s'oppose à ce qu'il retienne celles qui lui sont fournies par les partis tant au sujet du principe de leur collaboration au pouvoir qu'au sujet de la composition générale de la future équipe ministérielle.
Les partis ont dans la vie politique un rôle indispensable à remplir.
Mais dans une matière aussi délicate que la nomination et la révocation des ministres, leur influence devra s'exercer avec mesure." (4).

Nous aurons l'occasion de revenir longuement sur la coopération au sein de l'Exécutif entre le Roi et ses ministres; citons cependant ici un extrait de la lettre adressée par Léopold 1er à Charles Rogier le 4 novembre 1864 :
"Mon cher Ministre,
J'entends parler d'une espèce de programme que le cabinet aurait l'intention de communiquer aux Chambres. Cela étant, je dois appeler votre attention sur ce qui s'est passé durant la crise ministérielle.
Vous voudrez bien vous souvenir que vous aviez reçu la mission de former un ministère (5). Quand cette tâche s'est trouvée trop difficile on est revenu à l'idée de reprendre le ministère démissionnaire; la conviction qui a dominé dans tous ces pourparlers a été la nécessité de faire de grands efforts pour modifier l'état passionné des partis et de revenir à ces sentiments de modération qui encore en 1856 faisaient tant d'honneur au pays. (...)
Le cabinet ne peut donc pas adopter une autre ligne de conduite qui s'éloignerait des idées qui ont présidé à sa formation. Il ne peut aussi pas faire de déclarations comme gouvernement qui n'auraient pas l'approbation du chef de l'Etat. Veuillez exprimer à vos collègues et leur faire comprendre tout ce qu'il y a de dangereux dans un programme, qui vous lierait sans lier personne hors du cabinet et qui resterait probablement un obstacle constant dans votre marche politique...". (6)

Le message de Léopold 1er est clair : les ministres sont bien ceux du Roi. L'Exécutif est Un, sous la direction du Souverain.
Un autre exemple complétera utilement l'illustration de cette note de 1949. Le 16 juin 1878, Léopold II écrit à son chef de cabinet, Jules VAN PRAET :
"Cher Ministre,
Si vous voyez FRERE, prière de lui répéter qu'il doit me tenir au courant de ses démarches et des idées qu'il aura échangées avec ses futurs collègues.
Nous devrons, avec prudence avant de signer les arrêtés nommant les nouveaux ministres, savoir quels sont les projets de ces Messieurs. Si on ne s'explique pas, j'ai peur que nous serons attrapés.
Lorsque vous verrez FRERE reparlez-lui de M. GRAUX, le nouveau sénateur de Bruxelles, et même de MM. ALLARD et OLIN, je les préférerais à BARA." (7).

Ainsi, nous voyons que le Roi donne son avis tant au niveau du programme du gouvernement qu'à celui de la désignation des personnalités qui deviendront ministres. Dans le cas présent, malgré le souhait de Léopold II, c'est bien Jules Bara qui sera nommé. Le 19, le Roi écrit néanmoins à FRERE-ORBAN : "Mon cher Ministre, Je suis fort satisfait de la composition du cabinet." (8).

B. Les crises ministérielles de 1977 à 1982 nous permettent d' aborder d'autres réalités.

a) 1979.

La crise gouvernementale ne trouve pas de dénouement. Le mercredi 24 janvier, Francis DELPEREE note que "C'est l'occasion pour les observateurs de s'interroger sur le rôle que le chef de l'Etat est à même de jouer en temps de crise. La Constitution l'habilite bien sûr à nommer "ses" ministres. Mais n'est-ce pas devenu une clause de style ? Désignant un formateur, le Roi ne lui abandonne-t-il pas l'essentiel de ses prérogatives ? C'est une réponse nuancée qu'il convient d'apporter à ces questions.
Comment ne pas rappeler, tout d'abord, que la liberté d'action qui pourrait être reconnue au Roi comme au formateur dans la constitution d'un gouvernement ne saurait être entière dans un système qui s'inspire des règles du parlementarisme ? Lorsque le Roi choisit ses ministres, il désigne, en réalité, ceux qui, dans les circonstances du moment, sont les mieux à même de recueillir la confiance des Chambres et, au-delà d'elles, l'adhésion de l'opinion publique...
Comment ne pas admettre aussi que la formation d'un gouvernement est largement tributaire de contraintes arithmétiques que nul ne saurait, s'il veut faire oeuvre utile, ignorer ?
L'arithmétique gouvernementale veut que le conseil des ministres compte, en droit, autant de membres d'expression française que d'expression néerlandaise et soit, en fait, représentatif des deux grandes communautés du pays.
L'arithmétique parlementaire veut qu'en régime démocratique le gouvernement jouisse de la confiance des Chambres élues.
L'arithmétique constitutionnelle veut qu'en période de révision de la Constitution le gouvernement puisse s'appuyer sur une majorité de deux tiers des parlementaires au sein de chaque Chambre.
Les marges d'appréciation peuvent, dans ces conditions, se révéler fort étroites.
Comment ne pas relever encore que le Roi est appelé, à l'époque contemporaine, à exercer un rôle d'influence plus qu'une fonction de décision ?" (9).

Dans le choix de ses ministres, le Roi est tenu par de multiples contraintes "arithmétiques" :
Usuellement, il doit tenir compte de l'indispensable majorité parlementaire, sans laquelle le gouvernement se verrait refuser ses projets, ce qui rendrait son action impossible ainsi que le suggéraient le discours de Charles ROGIER en 1864 et le rapport de 1949 que nous avons cités ci-dessus.
Depuis le 24 décembre 1970, il doit tenir compte, en outre, de l'obligation constitutionnelle de respecter une parité linguistique au sein du gouvernement, celle-ci étant sensée correspondre à une influence équivalente dans chacune des deux grandes Communautés désormais reconnues en Belgique (10).
Occasionnellement, lorsqu'on prévoit une révision de la Constitution (11) ou le vote de lois dans des domaines qui exigent une majorité spéciale (12), la contrainte arithmétique peut se faire plus forte encore, puisque la majorité à prévoir est, alors, des deux tiers dans chaque Chambre. Notons toutefois que le gouvernement DEHAENE a opéré une importante révision de la Constitution en 1992-1993, alors qu'il ne disposait que d'une majorité simple : les voix nécessaires à l'obtention de la majorité des deux tiers lui sont venues de l'extérieur - des Ecolos tant francophones que néerlandophones (AGALEV) et de la V.U. -, situation qu'on n'envisageait évidemment pas en 1979.

Le Chef de l'Etat pouvait être, en outre, confronté ces dernières années avec la coutume de distribuer les portefeuilles ministériels en tenant également compte d'une répartition géographique des influences (chaque province, chaque ville importante prétendant avoir ses "délégués" au sein du gouvernement). Cela nous a conduit à des équipes pléthoriques; le Cabinet DEHAENE a volontairement réduit ses effectifs à quinze ministres et un secrétaire d'Etat (13), et l'introduction en 1993 d'un deuxième paragraphe dans l'article 65 vise à systématiser cette nouvelle pratique justifiée par la réduction des compétences du gouvernement "fédéral"; nous en parlerons à la fin de ce paragraphe.

A ce propos, il est intéressant de signaler que le monde politique avait élaboré un système de "points" pour l'établissement des compétences ministérielles ! Il fut évoqué dans la "Gazette van Antwerpen" du 23 octobre 1980 et ses subtilités expliquées dans la "Libre Belgique" du 27 octobre : "Le premier ministre vaut trois points, un ministre deux, un secrétaire d'Etat un seul; un président d'assemblée nationale est coté lui aussi à deux points, mais les présidents d'assemblée communautaire ou régionale n'en valent qu'un. Etant donné que chaque formation appelée à composer le gouvernement détient un nombre de points calculé en fonction de sa représentation parlementaire, il reste à répartir les points et les postes... puis à désigner les ministres... l'application de pareille arithmétique paraît plus précise et plus contraignante que celle de la règle constitutionnelle de la parité." (14).

Ces contraintes étant résolues, on imagine que le Roi peut nommer "ses" ministres sans obstacle.
Les crises des années 1977 à 1982 réservent encore quelques surprises, que nous nous contenterons d'évoquer ici.

b) 1977.

Le 2 juin, le gouvernement TINDEMANS IV est constitué, après quatre mois de crise; à 16h, le Palais communique la liste des membres de la nouvelle équipe; à 17h30, on apprend que quatre ministres du P.S.C. refusent de prêter serment devant le roi. (15)

Laissons le P.S.C. Charles-Ferdinand NOTHOMB raconter ce qui s'est passé : "Partager des portefeuilles est plus difficile à réaliser que dans la coalition précédente, puisqu'on est six partis autour de la table, dont les socialistes. C'est un dur marchandage et pour Georges Gramme, c'est le premier du genre. Il se heurte à l'appétit des socialistes et aux menaces de toutes parts s'il ne cède pas : on lui rappelle par exemple que le P.S.C. n'est mathématiquement pas nécessaire à la majorité. Et dans la nuit, il accepte une combinaison où il doit abandonner l'Intérieur, les Affaires économiques et la Culture française aux socialistes, obtenant toutefois l'Agriculture en compensation.
Fatigué et tracassé par le résultat, Georges Gramme rentre chez lui et, après toutes ces péripéties, prend un somnifère qui le fera dormir toute la matinée. Pendant ce temps, dans les autres partis, on explique, discute, soupèse et approuve le résultat de la négociation. Au P.S.C., on ne sait rien, sinon ce qui filtre d'autres partis et on ne connaît pas l'horaire prévu de la journée. On finit à midi par oser réveiller le président, et par fixer une réunion du comité directeur à 16 heures, première heure possible pour faire venir les membres de province. On avertit le formateur de cette convocation, et donc qu'il peut s'attendre à ce que ce soit clair au P.S.C. deux heures plus tard. Au lieu d'attendre, il choisit cette heure précise pour faire convoquer les futurs ministres au palais de Laeken pour la prestation de serment.
La réunion du P.S.C. se déroule donc dans une ambiance confuse. Le président est mal à l'aise car il subit des critiques de fond et de forme... Les ministres sont mal à l'aise car ils sont convoqués au Palais et qu'ils ne veulent pas s'y rendre sans être sûrs que leur parti approuve la constitution du gouvernement...
Il n'y a pas de contact direct entre le comité directeur et le formateur... Le comité ne peut se décider et la prestation de serment est remise, faute de la présence des futurs ministres P.S.C.
(...) le lendemain matin, c'est le massacre dans la presse : on accuse le P.S.C. de bafouer la monarchie..." (16).

A propos de cet incident, le constitutionnaliste Francis DELPEREE se posait la question de savoir "En quoi... la Couronne pouvait-elle être affectée, selon l'expression même du chef de l'Etat, par (cet) incident ? Ce qui paraît répréhensible dans le comportement du comité directeur du parti social-chrétien..., c'est qu'il n'a tenu nul compte de la décision royale qui venait d'intervenir. Pris de vitesse peut-être par une décision précipitée mais dûment averti de son contenu, puisqu'il s'est opposé à toute prestation de serment des ministres de son obédience, le comité en question a pris parti de la négliger. Le communiqué qu'il publie à 20h25, soit plus de 4 heures après la désignation par le Roi des nouveaux ministres, (proclame seulement) : "le comité directeur du PSC a entendu le rapport du président GRAMME sur les négociations devant mener à la présentation d' un gouvernement... Le PSC ne peut admettre d'être exclu des principales tâches qui attendent le prochain gouvernement". Mais ce gouvernement est constitué depuis 16h...
(...) le comité directeur du parti social-chrétien a pu croire un instant que son attitude pourrait suffire à remettre en cause la décision royale et qu'elle ouvrait la voie aussitôt à de nouvelles négociations...

Faut-il le rappeler ? Le Roi nomme les (sic) ministres... Le comité directeur du parti social-chrétien s'est engagé dans la voie aventureuse qui consistait à ignorer les décisions du Roi et à faire pression sur la Couronne pour qu'elle les révise.
Un comportement aussi singulier ne pouvait qu'être dénoncé faute de rendre impossible, dans l'avenir, la composition de tout gouvernement." (17).

Nous venons d'assister à une des manifestations de ce que l'on appelle la "particratie" : les enjeux, les intérêts sont tels lors de la formation d'une équipe ministérielle (chaque parti souhaitant obtenir une influence maximale au sein de l'Exécutif) que les comités directeurs des partis - qui ne sont pas nécessairement composés d'élus de la Nation - peuvent se croire permis d'ignorer les prescrits constitutionnels ! Intéressante évolution de notre système démocratique...

c) 1980.

"Le mercredi 22 octobre 1980, certains se posent la question : "le gouvernement MARTENS IV a-t-il été composé régulièrement ?" (18)

Nous ne reprendrons pas ici la longue argumentation de l'époque; citons-en seulement quelques points essentiels : "Jusqu'à nouvel ordre, tous les ministres et secrétaires d'Etat sont nommés par le Roi. Ils font partie du gouvernement, au sens où l'article 91bis de la Constitution utilise cette expression (13). Ils ne composeront un gouvernement, qualifié alors de "national", qu'au moment où les exécutifs de communauté ou de région s'organiseront de manière autonome. Telle n'est pas la situation au 22 octobre 1980." (18)
Constatant que "des recours en annulation sont introduits auprès de la section d'administration du Conseil d'Etat contre les arrêtés royaux des 22 et 23 octobre 1980", le professeur DELPEREE se demandait alors si "l'acte dont (les plaignants) contestent la légalité est de ceux que le Conseil d'Etat est appelé valablement à connaître". Après une longue analyse, qui dépasse le cadre de notre travail, il énonçait une "seconde thèse" qui, "plus conforme sans doute à la jurisprudence du Conseil d'Etat de Belgique, ... considère que tout acte accompli par le chef de l'Etat, spécialement dans l'exercice de la fonction gouvernementale, peut être assujetti à des contrôles de constitutionnalité ou de légalité.". Et sa conclusion était que "S'il ne paraît guère opportun de multiplier ce type de contrôles - car, sur le fond, ces décisions laissent au chef de l'Etat une marge considérable de pouvoir discrétionnaire - il n'en reste pas moins qu'ils existent." (18).

Déjà en 1831, le rapport Raikem examinait d'une certaine manière ce type de situation lorsqu'il notait que "L'exécution des lois peut donner lieu à des règlements et à des arrêtés. Ils doivent émaner du pouvoir exécutif; mais ils ne peuvent ni outre-passer la loi, ni y être contraires; et l'autorité judiciaire ne doit les appliquer qu'autant qu'ils sont conformes à la loi. Par là, vient à cesser la question si souvent agitée de savoir si l'autorité judiciaire pouvait juger de la légalité des actes de l'autorité administratives. En résolvant affirmativement cette question, le projet rend aux tribunaux toute leur indépendance, en consacrant le principe que la loi doit être la seule règle de leurs décisions." (19). Cependant, les mêmes "Chroniques de crise,..." citent des remarques du sénateur de STEXHE qui semble vouloir revenir à une logique constitutionnelle élémentaire du fait que, selon lui, "Ce contrôle relève du Parlement et de lui seul, c'est-à-dire que le vote de confiance des Chambres doit clore le débat... Nous défendons la séparation des pouvoirs et la primauté du Parlement et vous iriez soumettre notre vote de confiance au contrôle des tribunaux !" (18).

En réalité, cette "affaire" de 1980 résultait du passage des ministres régionaux et communautaires du Gouvernement national - dont ils étaient, jusqu'à ce moment, membres à part entière - à des entités autonomes. Le problème évoqué était purement technique et ne pouvait avoir aucune incidence réelle ! La manoeuvre politique qui consistait à ergoter sur des formes, dans le but peu reluisant de mettre le nouveau gouvernement en difficultés dès sa création, aboutit à une interrogation formelle sur la procédure même de désignation des ministres qui est une prérogative royale. Il est étonnant que certains aient pensé à un recours devant le Conseil d'Etat, instance spécialisée appartenant au pouvoir judiciaire ! La réaction du sénateur de Stexhe était particulièrement saine.

Nous constatons, pour résumer à ce point de notre étude, que l'évolution vers une complexité de plus en plus grande de nos institutions, ainsi que la présence de plus en plus influente des partis politiques, ont fortement modifié l'apparente simplicité d'exécution des prérogatives royales en cette matière.

C. Pour approfondir.

Cependant, si cette étude a pu laisser jusqu'à présent l'impression que l'action personnelle du Roi dans ce domaine était finalement réduite à peu de chose, il est temps d'illustrer la pensée d'André MOLITOR, lorsqu'il écrit que "Ce domaine... est peut-être celui où le Roi agit, sinon avec le plus de liberté, en tout cas avec le moins de couverture ou de garantie constitutionnelle. Sa démarche et ses initiatives procèdent directement de lui. Même s'il s'entoure de divers avis et conseils, il porte devant l'opinion la responsabilité sinon politique, du moins morale du cours des choses. C'est aussi le domaine où son jugement et son savoir-faire trouveront le plus matière à s'exercer dans ses relations avec cet univers difficile, turbulent et passionné qu'est la classe politique." (20); et de citer Bernard Waleffe, dont nous donnons ici un extrait plus complet, selon lequel "Le Roi, face à l'influence des partis, est l'arbitre qui préside aux négociations sans jamais s'y engager. Comme tout arbitre, il est un personnage actif qui entame et clôture le jeu, pousse les forces en présence à y prendre part et en assure la régularité. Par l'intermédiaire du formateur, il provoque la naissance d'une majorité gouvernementale. Mais une fois que cette majorité existe, elle doit être confirmée par les instances représentatives des partis qui la composent." (21).

Nous allons développer deux exemples particulièrement riches et, dans une certaine mesure, complémentaires.

1) Examinons d'abord comment s'est constitué, en mai-juin 1936, le gouvernement Van Zeeland II (22). Nous entrons dans les coulisses de cette difficile mise en place, aux côtés de Paul Hymans (23).

Les élections de 1936 se situent à la fin d'une législature; nous ne sommes donc pas en période de crise. Depuis le 25 mars 1935, Paul Van Zeeland dirige un gouvernement tripartite, dit d' "Union nationale", qui s'attache à résoudre la crise économique. "Quelques jours avant les élections, M. Van Zeeland annonça au Conseil des ministres qu'il estimait devoir remettre au Roi la démission du Cabinet, immédiatement après que serait connu le résultat du scrutin." (24).

La procédure est normale; elle laisse au Roi la marge de manoeuvre la plus large au moment de mettre sur pied une équipe conforme aux voeux exprimés par les électeurs.
Après le scrutin, chacun constata que "la situation parlementaire avait évolué. Les succès du rexisme avaient enlevé à la droite la supériorité numérique. Le groupe socialiste avait été réduit aussi par l'avance communiste. Mais il était devenu le plus nombreux. Le groupe frontiste s'était fortifié. Le parti libéral avait seul à peu près gardé sa position." (25).

Robert Capelle, secrétaire de Léopold III, résume : "Le 26 mai, M. Van Zeeland apporte au Roi la démission du gouvernement.
Après M. Van Zeeland, le Roi reçoit d'abord M. Vandervelde, chef du groupe parlementaire le plus important, et ensuite des parlementaires des trois partis. Tous estiment qu'une tripartite doit être reconstituée sous la direction de M. Van Zeeland; quelques-uns se demandent toutefois s'il ne conviendrait pas d'appeler d'abord un socialiste. Des hommes politiques reçus, c'est M. Paul Hymans qui impressionne le plus le Roi, par ses avis désintéressés, objectifs, réfléchis, imprégnés d'une grande expérience." (26). D'après ce dernier, "Lorsque je fus appelé au Palais (27), ma conversation avec le Roi m'éclaira sur la situation.
Le Roi me dit que, sans doute, M. Van Zeeland apparaissait comme le chef nécessaire (28), mais il préférait refuser d'abord afin de mieux réussir ensuite (29)...
Le Roi s'adresserait donc à M. Vandervelde, chef du groupe parlementaire devenu le plus nombreux, et M. Vandervelde n'aboutirait probablement pas. M. Van Zeeland reparaîtrait alors. "Je n'aime guère les combinaisons, me dit le Roi, mais celle-ci n'est que l'application stricte de la règle constitutionnelle".
Je restai une heure et demie dans le cabinet royal et nous passâmes en revue les affaires et les hommes." (30).

Le Roi, afin de déterminer quelles sont assurément les majorités possibles, procède à une large consultation du monde politique : "Il me fit part de son intention d'appeler des représentants des communistes, des rexistes et des frontistes. Il croyait utile de ne donner d'aucun côté l'impression d'une proscription. Il était bon que la Couronne entendît les avis de tous. Je donnai raison au Roi." (31). Ces consultations ne sont pas formelles : le Souverain entend obtenir des avis quant aux divers problèmes, économiques, communautaires et autres, qui se posent au pays à cette époque.
Van Zeeland se réserve, le P.O.B. revendique. Léopold III confie donc à Emile Vandervelde une première mission consistant à s' "informer des conditions dans lesquelles un gouvernement d'union nationale pourrait être constitué sous la direction d'une personnalité appartenant au groupe le plus nombreux de la Chambre" (32). Ainsi que le raconte Paul HYMANS, "M. Vandervelde me pria de venir aussitôt le voir (33). Nos Cabinets, dans l'hôtel ministériel, 28, rue de la Loi, étaient contigus (34) et nos rapports faciles et discrets.
Nous causâmes longtemps, en toute amitié et confiance.
(...)
(...) nos carrières furent parallèles. Pendant et après la guerre, les devoirs politiques nous associèrent à quatre reprises à la tâche gouvernementale (35).
(...)
Je repris le thème... que j'avais exposé au Roi : il faut à la Belgique une politique nationale, dirigée par un Gouvernement national issu des trois partis, bien équilibré, et dirigé par un homme dégagé des liens de parti; M. Van Zeeland seul offre ces conditions.
M. Vandervelde ne me cacha point qu'il s'estimait désigné, en tant que chef du parti le plus fortement représenté au Parlement, pour prendre la direction d'un ministère d'union nationale.
Je lui répondis que la condition essentielle à réaliser était la stabilité gouvernementale. Un ministère dont il serait le chef soulèverait une vague de méfiance. Il ne tiendrait pas.
J'eus très vite l'impression que M. Vandervelde songeait à constituer un ministère démocratique. Il additionna les sièges dont disposaient les socialistes et les démocrates chrétiens et conclut qu'ensemble ces deux groupes formaient une majorité à laquelle s'adjoindraient quelques libéraux avancés (36). Enfin, il me laissa même entendre que les socialistes pourraient tenter de gouverner seuls, au risque d'une chute rapide....
(...)
Je mis M. Dens, président du Conseil National du parti libéral, et M. Dierckx, président de la Gauche libérale du Sénat, au courant de l'avis que j'avais donné à M. Vandervelde. Ils l'approuvèrent. Et je sus bientôt après que, du côté catholique, un langage analogue avait été tenu.

Aussi fus-je fort étonné quand j'appris que, en conclusion de la mission d'information confiée à Vandervelde, celui-ci avait été prié par le Roi de former le Gouvernement.
Comment, si M. Vandervelde avait fidèlement rapporté au Roi les résultats de ses consultations, avait-il pu être considéré comme le chef nécessaire, les libéraux et les catholiques s'étant prononcés en faveur de M. Van Zeeland ?
Je fus éclairé quelques heures plus tard par une note officielle, émanant du Palais et publiée par l'Agence Belga. Elle relatait ainsi la conclusion communiquée au Roi : "L'enquête de M. Vandervelde a amené celui-ci à considérer comme possible un essai de formation de gouvernement d'union nationale par un membre du parti socialiste, le groupement le plus nombreux de la Chambre".
M. Vandervelde avait donc substitué sa propre opinion et celle de son parti à celle qui se dégageait de l'ensemble de ses consultations. (37)
(...)
Je reçus la visite du baron Capelle, secrétaire du Roi, qui me demanda confidentiellement mon avis sur le point suivant : Si M. Vandervelde revient au Palais et déclare qu'il n'a pu réaliser une combinaison d'union nationale, mais persiste à réclamer la direction et propose de former un gouvernement démocratique, le Roi peut-il répondre que c'est l'union nationale qu'il veut, et s'en tenir à sa première position ? Je répondis affirmativement sans hésiter.
(...)
(...) M. Vandervelde aboutit à une impasse et le Roi fit un second appel à M. Van Zeeland. (38)
L'affaire entra alors dans la phase décisive et finale.
J'eus plusieurs entretiens avec M. Van Zeeland...
Il me pria d'aller le voir, le 10 juin, et m'offrit un portefeuille... Je refusai immédiatement, estimant que mon rôle ministériel avait pris fin et que l'heure était venue de recruter des éléments plus jeunes... Je lui demandai à qui il comptait confier les Affaires étrangères... Il songeait à Spaak. J'approuvai ce choix.
(...)
Il me demanda de pouvoir annoncer publiquement qu'il m'avait fait offre d'entrer dans le Gouvernement.
Nous eûmes une nouvelle entrevue le lendemain. Il me communiqua son programme... Van Zeeland me déclara en outre qu'il comptait offrir cinq portefeuilles aux socialistes, quatre aux catholiques, trois aux libéraux, et dans chacun des trois groupes appeler une personnalité étrangère au Parlement. Pour les libéraux, ce serait M. Julius Hoste, à qui serait dévolu le département de l'Instruction publique.
Ce choix s'expliquait par le désir de confier ce département à un Flamand. M. Hoste est le propriétaire et le rédacteur en chef d'un grand quotidien de langue flamande, Het Laatste Nieuws, qui a plus de 200.000 lecteurs et dont le ton est modéré. Le flamingantisme de M. Hoste est resté national et M. Hoste, homme calme, de bon sens et loyal patriote, jouit personnellement dans le monde de la presse d'une sympathie générale.

Je savais que la nomination de M. Hoste était désirée par le Roi, qui s'inquiète des développements de la querelle linguistique...

M. Van Zeeland se proposait en outre de donner à un général la Défense nationale.
Il me déclara que si les bases de la répartition qu'il venait de me faire connaître n'étaient pas admises par les socialistes et que ceux-ci prétendaient obtenir six portefeuilles, il abandonnerait sa mission. Il ne pourrait accepter la responsabilité d'un gouvernement dépourvu d'équilibre. Il ne me cacha pas que l'échec était probable.
(...)
Quelques heures après, j'apprenais que M. Van Zeeland, devant les revendications du parti socialiste qui réclamait six portefeuilles, avait renoncé à former le Cabinet.

Le Roi alors convoqua au Palais deux représentants de chacun des trois partis historiques... Il leur adressa un appel pressant, invoqua l'intérêt du pays, la nécessité de mettre fin à la carence du pouvoir. La sincérité, l'autorité de son accent agirent sur Spaak tandis que Vandervelde demeurait impassible. C'est ainsi que Max (39) me décrivait l'audience royale.
L'effort réussit et les conversations furent renouées.
Dans l'entre-temps, le mouvement gréviste qui s'était déchaîné en France avait eu de rapides répercussions en Belgique. Le monde ouvrier s'agitait. On redoutait que les grèves ne dégénérassent en violence. Elles semblaient d'inspiration communiste. On ne pouvait se passer de direction gouvernementale. D'autre part, la fièvre qui gagnait la classe ouvrière servait la tactique socialiste. M. Van Zeeland fut soumis à un chantage auquel il ne put résister. Il dut céder un sixième portefeuille à l'Extrême-Gauche et, pour satisfaire les ambitions de Vandervelde, créer pour lui un ministère nouveau (40), le ministère de la Santé publique." (41).

La liste des membres du gouvernement Van Zeeland II était finalement arrêtée le 13 juin au soir (42).

* * *

L'intervention royale est particulièrement diversifiée :

1. Le Roi a immédiatement pressenti le Premier ministre sortant, qui a préféré "attendre son heure" : l'équilibre politique a, en effet, été modifié par le résultat des élections et Paul Van Zeeland ne veut pas prendre le risque d'un échec immédiat, causé par les ambitions légitimes du parti socialiste, devenu le plus important à la Chambre.

2. Le souverain prend l'avis de tous les partis représentés au Parlement et s'informe auprès des Ministres d'Etat.

3. Il désigne comme informateur le chef du parti socialiste, entendant respecter la logique des élections. Pourtant il sait que les chances d'Emile Vandervelde sont minces, ses premiers contacts ayant indiqué au Roi que les partis catholique et libéral souhaitent la reconduction de la tripartite d'Union nationale dirigée par le Premier ministre sortant, ce qui est confirmé, comme nous l'avons vu (22), par un autre membre influent du P.O.B., Paul-Henri Spaak, dès le lendemain des élections.

4. Sur la foi du rapport de Vandervelde, Léopold III lui confie la tâche de former le nouveau gouvernement.

5. Devant les réactions des journaux catholiques et libéraux, il pressent une manoeuvre personnelle de Vandervelde et s'informe confidentiellement par l'intermédiaire de son secrétaire.

6. Après l'échec attendu d'Emile Vandervelde, le Roi désigne Paul Van Zeeland qui peut bénéficier de la situation pour proposer sa formule de gouvernement; l'équilibre imaginé par le nouveau formateur tient compte du résultat des élections (25).

7. Les exigences socialistes amènent un blocage; le formateur renonce à sa mission. Le souverain convoque alors deux responsables de chaque parti et les exhorte à faire un effort, compte tenu du désordre qui s'installe. Cette intervention relance le processus.
8. Le Gouvernement est alors constitué rapidement, compte tenu des aspirations socialistes et des réticences libérales : Vandervelde ne reçoit pas les Affaires étrangères, qui vont cependant à un membre de son parti, mais on crée à son intention un nouveau ministère qui satisfait certaines revendications du P.O.B.; les ministres libéraux acceptent leurs portefeuilles "sans avoir consulté les instances du parti" (43).

Le Roi a personnellement suivi toutes les phases de la mise sur pied du gouvernement; son action est restée secrète : Höjer, qui mène son enquête d'après les journaux de l'époque, émet des hypothèses quant au sens des décisions royales (37), alors que celles-ci nous apparaissent déjà plus claires grâce aux Mémoires de Paul Hymans et aux notes de Robert Capelle. Il est évident qu'une future publication de la correspondance de Léopold III nous éclairerait mieux encore.

Notons enfin que le Roi a ses préoccupations - notamment les difficultés communautaires - et qu'il peut obtenir la désignation d'une personnalité précise qui lui semble pouvoir jouer un rôle modérateur, ici Julius Hoste.

* * * * *

2) La mise sur pieds du gouvernement Martens VIII fut longue et pénible. Nous ne disposons pas - et pour cause ! - de la documentation "intime" qui nous permettrait de déterminer le rôle précis, au jour le jour, de Baudouin 1er entre décembre 1987 et mai 1988; l'ouvrage de Hugo De Ridder, éditorialiste du "Standaart", "Sire, donnez-moi cent jours" (44) nous dévoile les dessous des discussions entre partis et hommes politiques, mais nous apprend peu du rôle du souverain lui-même (45). Nous pouvons cependant en suivre certains aspects officiels.

Les élections du 13 décembre ont profondément modifié les données politiques. Jacques Brassine et Xavier Mabille en relèvent trois caractéristiques principales :
"a) les tendances les plus nettes - un recul du CVP en Flandre et un progrès du PS en Wallonie et à Bruxelles - sont apparues comme traduisant un vote-sanction de la gestion gouvernementale, même si les partis de la coalition sortante conservent ensemble une majorité des sièges au Parlement (cette dernière n'étant que d'un siège au Sénat);

b) l'accession de la famille socialiste (PS + SP) pour la première fois depuis 1936 (46) au premier rang sur le plan national : le PS et le SP obtiennent en effet 30,6% des suffrages, devançant la famille social-chrétienne (27,5%) et la famille libérale (20,8%), cette dernière conservant son poids relatif;

c) les asymétries de situation au niveau des trois régions du pays se sont accentuées, le premier parti dans chacune de ces régions occupant une situation non comparable : le PS s'approche d'une position majoritaire en Wallonie et creuse l'écart avec les autres formations politiques tandis que le CVP atteint en Flandre un minimum historique et que le PRL plafonne (l'écart avec le PS s'amenuisant) à Bruxelles." (47).

Ajoutons que les Chambres issues de ces élections sont constituantes, ce qui implique que le Gouvernement doit pouvoir y disposer d'une majorité des deux tiers; il s'agit d'approfondir la Régionalisation, tâche difficile compte tenu de l'écart énorme entre les positions des socialistes "fédéralistes" et celles des sociaux-chrétiens "unitaristes".
La mise en place du gouvernement central sera paradoxalement compliquée par le fait que le SP en Flandre et le PSC en Wallonie estiment que les majorités doivent être identiques au gouvernement national, au Vlaamse Raad, à la Région wallonne et à la Communauté française; ceci paraît quelque peu contradictoire avec l'esprit de la Régionalisation; or, même le PS "fédéraliste" ne relèvera pas ce fait... C'est qu'il s'agit pour chaque parti de se placer au mieux; ainsi, le seul qui dénoncera vraiment l'inconséquence de ce parallélisme "obligé" sera le PRL... qui sent le risque de ne se trouver dans aucun des trois Exécutifs qui peuvent normalement s'ouvrir à un parti francophone; de même, le PVV défendra jusqu'au bout l'idée d'une coalition spécifique au Vlaamse Raad, telle qu'elle a été signée avant les élections.

Hugo De Ridder note à ce propos que "... Les hommes politiques pouvaient invoquer des excuses pour leur étrange comportement. La loi de 1980 sur la réforme de l'Etat avait introduit un calendrier pour la composition des gouvernements régionaux et communautaires: cinquante jours après les élections nationales, les Conseils régionaux et communautaires peuvent installer leurs Exécutifs. Le législateur partait alors du souci, compréhensible et respectable, de ne pas laisser traîner indéfiniment les négociations. Il voulait également indiquer par là que la formation des Exécutifs et la formation du gouvernement national sont distinctes l'une de l'autre. La pratique politique s'est quant à elle avérée différente..." (48).
Rappelons que la formation de ces Exécutifs régionaux et communautaires ne relève pas de l'article 65 de la Constitution.

Que va faire le Roi ?

Brassine et Mabille relèvent que "le rôle du Roi a été important tout au long du déroulement de la crise" (49) et De Ridder note que "Des nombreuses et longues conversations que j'ai pu avoir avec les acteurs principaux de la plus longue crise politique que la Belgique ait jamais connue, il ressort que le chef de l'Etat y a joué un rôle décisif. A différentes reprises, mes interlocuteurs ont fait allusion à des suggestions d'en haut, de la Cour, du palais ou même ouvertement du roi.
Il est assez délicat pour un auteur, journaliste de surcroît, de savoir ce qu'il peut en révéler." (50).

Le souverain va commencer par effectuer un large tour d'horizon dans l'ensemble du monde politique. Il est clair que le PS est le grand vainqueur du scrutin et qu'il pourrait revendiquer la direction du nouveau gouvernement. En conséquence, le 18 décembre le Roi désigne son président Guy Spitaels pour une mission d'information. Celui-ci va d'abord rencontrer les présidents des partis; il recevra ensuite des représentants des milieux économiques et sociaux : c'est que, pour le PS, il s'agit de changer de politique, de "donner du coeur aux chiffres", d'examiner comment on peut poursuivre l'assainissement des finances publiques tout en adoucissant les effets de l'austérité en faveur des petits revenus. Quels partis sont-ils prêts à suivre cette voie et jusqu'où peut-on ou doit-on aller, à la fois pour satisfaire les récriminations de ceux qui souffrent de la crise et pour ne pas compromettre la compétitivité des entreprises ?
Plusieurs coalitions sont, arithmétiquement parlant, possibles au niveau national. Comment chacun des trois partis traditionnels se situe-t-il face à ces potentialités ?
Le 4 janvier, Guy Spitaels remet ses conclusions au Roi : à ce stade, aucune coalition ne remporte l'adhésion de tous les partis concernés :
- le CVP écarte l'idée d'une alliance avec les socialistes seuls et se déclare favorable à une tripartite sur le plan national, ceci dans le but d'assurer la révision de la Constitution; pour le Vlaamse Raad, il marque sa préférence pour une reconduction de l'alliance avec le PVV;
- le PRL est prêt à entrer dans une coalition tripartite sur le plan national, mais souhaite la poursuite de la majorité avec le PSC à la Région wallonne comme à la Communauté française;
- le PS marque sa préférence pour une coalition avec les sociaux-chrétiens; s'il rencontre un écho assez favorable du côté du PSC, il doit constater que le CVP fait opposition, de même que le SP qui met comme condition à cette formule son entrée au Vlaamse Raad.

Bref, c'est l'impasse.

Le 4 janvier, le Roi charge Willy Claes, ministre d'Etat SP, d'une mission de négociation, formule inédite dans la mesure où il ne s'agit pas de rechercher principalement les combinaisons de partis susceptibles de former un gouvernement, mais "de faire rapport d'une part sur le contenu d'un programme de gouvernement qui devrait proposer des solutions aux problèmes communautaires, préparer la réforme de l'Etat et définir les grandes lignes d'une politique gouvernementale dans le domaine budgétaire et dans celle (sic) de la lutte contre le chômage et la pauvreté; et d'autre part, sur les formules de gouvernement susceptibles de réaliser un tel programme." (51). Reprenant la revendication émise par son parti d'entrer dans l'Exécutif flamand, Willy Claes se prononce de prime abord en faveur de la symétrie des coalitions dans les quatre exécutifs, considérée comme indispensable pour la stabilité gouvernementale.
Pendant qu'il cherche à remplir sa mission, des négociations se poursuivent tant au nord qu'au sud du pays pour les assemblées régionales et pour la Communauté française; cependant, les formules retenues sont différentes, en contradiction avec la thèse de départ du négociateur.
Willy Claes tente de réunir autour d'une même table socialistes et sociaux-chrétiens, mais il se heurte au CVP.

Devant cette nouvelle impasse, le Roi va changer de tactique.
Le 22 janvier, il décharge Willy Claes de sa mission et se tourne vers le CVP qui est à la base de l'échec; Jean-Luc Dehaene est chargé à son tour d'une mission d'information le 25 janvier (52).

"Pendant près de trois mois, le Roi a rencontré J.L. Dehaene tous les lundis. Il a suivi pas à pas la lente évolution de la crise permettant au facteur "temps" de donner ses pleins effets.
A partir de la fin du mois de janvier, le rôle du Roi, tout en s'inscrivant dans la tradition, va être un facteur fondamental dans l'évolution de la crise. (...)
En octroyant 15 semaines à Jean-Luc Dehaene au cours de ses deux missions successives (53), le Roi a agi conformément à l'analyse qu'il a faite de la situation complexe du pays sans rompre avec la tradition." (54).

L'informateur doit d'abord désamorcer - il s'est comparé plusieurs fois à un démineur - le problème du Vlaamse Raad. Pour y parvenir, il imagine la possibilité d'instaurer la règle de l' "Exécutif proportionnel" dans le cas où Région et Communauté auraient été fusionnées, situation qui se présente effectivement en Flandre; ainsi le SP sera satisfait, sans que les accords CVP/PVV ne doivent être rompus ! Le choix de cette procédure "permet au CVP et au SP de sauver la face" (55).

Ceci réglé, l'informateur va pouvoir entamer une analyse approfondie avec les partis pressentis dans le but de former un gouvernement : PS, CVP, SP et PSC auxquels il ajoute la VU.
Le travail se fera en plusieurs phases : d'abord l'examen d'une politique économique et sociale, puis le contenu de la future révision de la Constitution établissant une régionalisation plus complète, enfin les problèmes communautaires. Comme les travaux sont lents, la crise dure et les résultats obtenus sont tels qu'aucun parti ne peut risquer de tout remettre en question une fois abordées les questions communautaires ! "Le facteur temps a joué un rôle non négligeable; le sentiment ayant prévalu finalement, parmi les dirigeants concernés, que le parti qui ferait échouer la négociation aurait une part importante de responsabilité à assumer dans une éventuelle crise de régime" (56).

Le lundi 2 mai, l'accord est signé par les cinq présidents de partis, en présence de Wilfried Martens.
"Le retour de W. Martens comme candidat Premier ministre, puis formateur et enfin Premier ministre fut l'occasion de nouvelles allusions au rôle du Roi dans le dénouement de la crise." (57).

Nous ne pouvons, hélas, que répertorier les diverses interventions du Souverain, sans en déterminer le contenu exact. Il n'y a aucun doute quant au fait que son rôle fut important : le choix des quatre personnalités mises successivement "en piste", le contenu de leur mission, le temps qui leur fut imparti, les contacts fréquents entre elles et Lui furent des éléments essentiels, sans compter tout ce qui s'est dit et écrit pendant ces quelque six mois et que nous ne connaîtrons que dans plusieurs années...

Dans le chapitre 10 de son ouvrage, Hugo De Ridder nous parle de l'atmosphère de ces entrevues royales : "... Baudouin 1er écoute les hommes politiques, qu'il a convoqués, d'une manière impassible, mais intense et attentive, en les fixant de ses yeux gris et pénétrants. Il prend des notes dans un cahier à couverture noire et enregistre encore bien plus de choses dans sa mémoire d' éléphant. Dans son bureau..., il a souvent fait remarquer à son interlocuteur qu'il lui avait présenté les choses de manière tout à fait différente quelques mois auparavant.
Il sait ... que même pour le politicien le plus madré, une conversation avec le roi est un moment important... Tous entrent au palais avec une crainte persistante. José Happart a dit un jour à une réunion publique à Namur (9/3/89) qu'il avait sous-estimé le fait royal : "Beaucoup d'hommes politiques, même les socialistes wallons, font dans leur froc lorsqu'ils sont devant le roi".
Etant donné son règne déjà long, le roi a vu les débuts de chaque homme politique. Il a vécu chaque intrigue, chaque incident, chaque lâcheté ou chaque acte courageux. Il a rencontré des chefs politiques qui sacrifiaient leur carrière au salut de l'Etat. Il a interrogé des hommes d'état qui supportaient les humiliations et l'impopularité politique dans l'intérêt d'une cause supérieure.
(...)
Plus rien ne peut donc l'étonner... " (58).

Et De Ridder nous "révèle" quelques interventions de la Cour dans la crise :
- dès le 4 avril 1987, "elle" aurait donné un signe à Hugo Schiltz, de la V.U., pour l'engager à établir un dialogue entre Flamands et Wallons. Nous suivons les démarches de l'homme politique, mais rien ne nous est dit de leurs suites.
- le samedi 17 octobre 1987, Gérard Deprez, président du PSC, promet solennellement au Roi de ne plus s'opposer à la communautarisation de l'Enseignement. Mais il s'agit d'avantage d'une démarche du chef du parti auprès du Souverain que l'inverse. Cette révélation a fait scandale dans la mesure où le devoir de réserve des hommes politiques concerne l'ensemble des aspects d'une conversation avec le Chef de l'Etat : ce qu'Il dit à son interlocuteur, mais aussi ce que ce dernier Lui raconte !
- à une date non précisée, "dans les semaines qui avaient précédé" (59), le Palais aurait sondé les dirigeants du CVP quant à l'importance relative qu'ils accordaient d'une part à la réforme de l'Enseignement, d'autre part à leur solidarité avec le PSC; mais nous ignorons dans quel but et à quoi cela a abouti, hormis la promesse de Gérard Deprez éventuellement.
- "Enfin, selon une indiscrétion confirmée de divers côtés, le roi fit comprendre à tous ses interlocuteurs, les socialistes wallons compris, qu'il ne souhaitait plus apposer sa signature sur un arrêté de nomination de Happart comme bourgmestre." (60).

Ceci est la seule véritable révélation concernant une intervention précise du Souverain au cours de ces longs mois de crise !

L'étude des crises anciennes nous fait penser que l'action du Roi a pu débloquer quelques problèmes...
Wilfried Martens lui-même, dans son ouvrage intitulé "Parole donnée" lève timidement un coin du voile au cours du récit qu'il nous donne de la constitution de son premier gouvernement; son devoir de réserve lui impose de garder cette discrétion. Il y écrit que "La formation de la nouvelle équipe se traînait lamentablement et la crise dura au total cent jours. On avait eu d'abord Willy Claes comme informateur et je fus envoyé dans une tentative de formation qui n'était pas assez mûre. Claes et Nothomb devaient de nouveau intervenir comme conciliateurs et puis ce fut le tour de Paul Vanden Boeynants... Un moment donné, les affaires semblaient tellement sans issue que le Chef de l'Etat convoqua à deux reprises plusieurs ou même tous les leaders de partis..." (61).
L'information est en partie confirmée par Francis Delpérée qui note dans ses "Chroniques de crise" que "Le 8 mars, le formateur constate son échec et demande au Roi à être déchargé de sa mission. Le chef de l'Etat réserve, un moment, sa réponse. Le lendemain, il reçoit ensemble les six présidents de la coalition sortante et les presse de tenter un ultime effort pour former le gouvernement. Cette initiative sans précédent (62) témoigne évidemment de la vive préoccupation du Roi de mettre fin, après quatre mois de crise, à la vacance du pouvoir. Elle met aussi de manière solennelle les formations politiques devant leur responsabilité." (63).

En quelque sorte, s'ils insistent sur l'importance du rôle personnel du Roi au cours de cette crise, ni Jacques Brassine, ni Xavier Mabille, ni Hugo De Ridder ne nous fournissent autre chose qu'une impression générale, sans exemples précis.
Compte tenu de l'importance de la tâche du Souverain en application de l'article 65 de la Constitution, cette réserve des commentateurs ne peut qu'être favorable au bon fonctionnement de nos institutions.


D. La nomination des ministres, depuis la Révision de 1992-1993.

Un deuxième paragraphe a été introduit dans l'article 65; il est intitulé comme suit : "Le Conseil des Ministres compte quinze membres au plus. Le Gouvernement remet sa démission au Roi si la Chambre des représentants, à la majorité absolue de ses membres, adopte une motion de méfiance proposant au Roi la nomination d'un successeur au Premier Ministre, ou propose au Roi la nomination d'un successeur au Premier Ministre dans les trois jours du rejet d'une motion de confiance. Le Roi nomme Premier Ministre le successeur proposé, qui entre en fonction au moment où le nouveau Gouvernement prête serment." (64).

Signalons par la même occasion qu'un deuxième paragraphe a également été ajouté à l'article 36, selon lequel "Le membre de l'une des deux Chambre, nommé par le Roi en qualité de ministre et qui l'accepte, cesse de siéger et reprend son mandat lorsqu'il a été mis fin par le Roi à ses fonctions de ministre. La loi prévoit les modalités de son remplacement dans la Chambre concernée." (65).
Ceci appelle trois remarques :
1. Apparemment, le pouvoir du Roi dans ce domaine est donc réduit puisqu'il devrait, dans certains cas, nommer le Premier Ministre proposé par la Chambre des représentants; toutefois, il faut remarquer que la plupart des Gouvernements sont remplacés soit après "implosion" (et nous avons l'impression que cette formule persistera, parce que moins défavorable sur le plan électoral - dans la majorité des cas - aux partis au pouvoir qui choisissent le point de chute le plus "rentable" !), soit après les élections normales.
En théorie, il y a recherche d'une plus grande stabilité ministérielle grâce à l'adoption du "système allemand"; mais il faut tenir compte, comme la plupart des observateurs compétents l'ont déjà fait remarquer, des "traditions" belges...

2. La limitation à quinze ministres ne s'étend pas aux Secrétaires d'Etat; les paragraphes précédents de ce chapitre montrent qu'on peut craindre des "compensations" de ce côté...

3. La nouvelle disposition de l'article 36 (peut-être inspirée cette fois par le modèle français) garantit davantage la séparation entre les pouvoirs législatif et exécutif.

Notes

Les articles sont cités dans leur ancienne numérotation ; je donne ici la nouvelle entre parenthèses.

(1) Voici un autre extrait intéressant de ce chapitre II, consacré à "La nomination et la révocation des ministres", dont le lecteur trouvera le texte intégral dans "Le Roi dans le régime constitutionnel...", CRISP, op. cit., pages 23 à 26 : "Selon une pratique constante, l'arrêté de nomination du Premier Ministre est signé par son prédécesseur, qui assume ainsi la responsabilité de la régularité constitutionnelle du mode selon lequel s'est exercé le choix du Roi, et c'est le nouveau Premier Ministre qui contresigne l'arrêté acceptant la démission du Premier Ministre sortant, ainsi que les arrêtés de nomination de ses collègues. Cependant, en cas de refus non justifié du Premier Ministre ou en cas de force majeure, le Premier Ministre nouvellement nommé doit pouvoir contresigner sa propre nomination. C'est avant tout en fonction de l'accueil qu'il recevra devant les Chambres que le gouvernement sera constitué et la manifestation caractéristique de la méfiance du Parlement trace au Roi le devoir constitutionnel d'accepter la démission du ministère. Le Roi peut apprécier si l'attitude des Chambres constitue la manifestation non équivoque d'un manque de confiance. Plus d'une fois les Chambres ont sanctionné par des votes de confiance le refus du Roi d'accepter la démission d'un gouvernement mis en minorité sur des questions de minime importance. Les ministres n'étant constitutionnellement responsables que devant les Chambres, les ministres ne sont pas tenus d'offrir leur démission et le Roi n'est tenu de l'accepter si la marque de désapprobation émane d'un parti ou de l'un de ses organes.".

(2) Charles Rogier en cite plusieurs : MM. de Brouckere et Pirmez, MM. Dechamps et de Theux (L. Hymans, Hist. parl., T.IV, session K.2, p.211).

(3) Louis HYMANS, op. cit., vol. IV, session K.2, p.211.

(4) Le Roi dans le régime constitutionnel..., op. cit., p.24.

(5) Nous déduisons du texte de la déclaration de Charles Rogier du 1er mars que Léopold 1er, qui écrit de Nice, commettrait ici une erreur dans la mesure où il y demandait à Rogier de rester en place, malgré l'offre de démission de son gouvernement, du fait que les chefs du parti catholique avaient renoncé à former une autre équipe ministérielle.

(6) Lettres de Léopold 1er, présentées par Carlo Bronne; pages 293-294.

(7) Nadine LUBELSKI-BERNARD, Léopold II et le cabinet Frère-Orban, tome 2, p.1102.

(8) Idem, p.83.

(9) Francis DELPEREE, Chroniques de crise, 1977-1982, CRISP, 1983, p.64.

(10) Art.86bis (99, alinéa 2n).: "Le premier ministre éventuellement excepté, le Conseil des Ministres compte autant de ministres d'expression française que d'expression néerlandaise."

(11) Art.131 (195n).: "Le pouvoir législatif a le droit de déclarer qu'il y a lieu à la révision de telle disposition constitutionnelle qu'il désigne.
Après cette déclaration, les deux Chambres sont dissoutes de plein droit...
Ces (deux nouvelles) Chambres statuent de commun accord avec le Roi, sur les points soumis à la révision.
Dans ce cas, les Chambres ne pourront délibérer si deux tiers au moins des membres qui composent chacune d'elles ne sont présents, et nul changement ne sera adopté, s'il ne réunit au moins les deux tiers des suffrages.".

(12) L'art.1 prévoit, dans son dernier alinéa, que certaines lois spéciales doivent être adoptées "à la majorité des suffrages dans chaque groupe linguistique de chacune des Chambres, à la condition que la majorité des membres de chaque groupe se trouve réunie et pour autant que le total des votes positifs émis dans les deux groupes linguistiques atteigne les deux tiers des suffrages exprimés.".
L'art.32bis (43§1n) stipule, en effet, que "Pour les cas déterminés dans la Constitution, les membres élus de chaque Chambre sont répartis en un groupe linguistique français et un groupe linguistique néerlandais, de la manière fixée par la loi.".

(13) Art.91bis (104n) : "Le Roi nomme et révoque les secrétaires d'Etat.
Ceux-ci sont membres du gouvernement. Ils ne font pas partie du Conseil des Ministres. Ils sont adjoints à un ministre.
Le Roi détermine leurs attributions et les limites dans lesquelles ils peuvent recevoir le contreseing.
Les dispositions constitutionnelles qui concernent les ministres leur sont applicables à l'exception des articles 79, troisième alinéa, 82 et 86bis."

(14) F. DELPEREE, Chroniques..., op. cit., p.117.

(15) Henri SIMONET relate le fait dans son ouvrage "Je n'efface rien et je recommence" (Didier Hatier, 1986). Il commet cependant deux erreurs : d'abord, il situe cet événement le 3 juin, qui fut la date de la prestation de serment effective, soit le lendemain de l'incident (p.130); ensuite, il désigne Charles-Ferdinand NOTHOMB comme président du P.S.C., alors que c'était Georges GRAMME (p.131).

(16) Ch.-F. NOTHOMB, La vérité est bonne, Didier Hatier, 1987, pages 200-201.

(17) F. DELPEREE, op. cit., pages 38 à 40.

(18) L'ensemble de cette argumentation se trouve dans : Francis DELPEREE, op. cit., pages 118 à 124.

(19) Le Roi dans le régime constitutionnel..., op. cit., p.7.

(20) André MOLITOR, La fonction royale en Belgique, p.26.

(21) Bernard WALEFFE, Le roi nomme et révoque ses ministres, p.80.

(22) Carl-Henrik HÖJER l'étudie dans son ouvrage sur "Le régime parlementaire en Belgique...", pages 245 à 267.

(23) Paul HYMANS, Mémoires, tome 2, pages 762 à 771.

(24) idem, p.762.

(25) idem; HÖJER nous fournit les renseignements suivants :
"L'issue des élections du 24 mai 1936 fut sensationnelle : 63 catholiques, 23 libéraux, 70 socialistes, 16 nationalistes flamands, 9 communistes et pas moins de 21 rexistes à la Chambre! Ainsi le parti catholique avait perdu 16 mandats, surtout au profit des rexistes, mais aussi à celui des nationalistes flamands... des 63 représentants, les trois quarts étaient Flamands,... Les libéraux s'étaient tiré d'affaire en ne perdant qu'un mandat, les socialistes, 3." (pages 247-248). A noter que le nombre des représentants avait été augmenté.

(26) R. CAPELLE, Au service du Roi, t.1, p.225.

(27) En sa qualité de Ministre d'Etat.

(28) Paul-Henri Spaak, personnalité socialiste influente, s'était prononcé en sa faveur dès le 27 juin : HÖJER, p.250 note 9 et HYMANS, p.762.

(29) D'après HÖJER, "le P.O.B. revendiqua le poste de Premier ministre et un des portefeuilles catholiques; les catholiques et les libéraux firent en général connaître leur désir de voir M. Van Zeeland reprendre le pouvoir... A la suite de consultations vastes qui comprirent non seulement les mêmes éléments qu'en 1935 mais aussi les trois petits partis, y compris Rex, le Roi chargea, le premier juin, M. Van Zeeland de former le nouveau cabinet, mais celui-ci se récusa pour des raisons de famille." (p.249).

Robert CAPELLE donne le texte de la déclaration faite par Van Zeeland aux journalistes. Après avoir rappelé qu'il n'était pas un homme politique et qu'il avait toujours considéré sa mission comme temporaire, le Premier ministre terminait par ces mots : "J'ai fait ma part; à d'autres de faire la leur. J'estime que, dans ces conditions, sans manquer à mes devoirs, je puis rentrer dans le rang et songer à l'avenir de mes enfants." (Au service du Roi, t.1, p.227).

(30) Paul HYMANS, op. cit., pages 762-763.

(31) idem, p.763.

(32) Déclaration de Vandervelde à la presse, citée par HÖJER, op. cit., p.249.

(33) Paul Hymans était ministre sans portefeuille dans le gouvernement Van Zeeland I démissionnaire.

(34) Emile Vandervelde était également ministre sans portefeuille et vice-président du Conseil des ministres dans le même gouvernement (HÖJER, op. cit., p.240), contrairement à ce qui figure dans la notice qui lui est consacrée dans le "Dictionnaire d'Histoire de Belgique" où il est signalé comme "ministre de la Santé publique" (p.476).

(35) Outre le gouvernement Van Zeeland I, les deux hommes participèrent ensemble aux gouvernements de Broqueville, Delacroix I, Carton de Wiart et Jaspar I.

(36) D'après HÖJER, les socialistes étaient 70 et les démocrates-chrétiens 24; cela ne faisait que 94 députés sur 202 (op. cit., p.247). Vandervelde avait sans doute de bonnes raisons pour comprendre 7 autres élus catholiques comme "démocrates", mais, à première vue, même avec quelques libéraux (deuxième parti de Gauche), cette majorité aurait été faible.

(37) Voici comment HÖJER explique la désignation de Vandervelde :
"Le 5 juin, il remit au Roi un dossier dans lequel la plupart de ses interlocuteurs avaient résumé leur opinion par écrit. Le jour même, le Roi le chargea de former le gouvernement. Il est impossible de dire s'il le faisait parce qu'il croyait que les deux autres partis accepteraient un Premier ministre socialiste, ou si, n'y croyant pas, il jugeait de toute façon opportun de laisser un socialiste courir ses chances; ce qui ferait croire à la deuxième explication, c'est que les journaux catholiques et libéraux s'opposèrent à l'idée d'un chef de gouvernement socialiste." (op. cit., pages 249-250).
Le témoignage de Paul HYMANS éclaire la décision royale, en précisant le sens du rapport de Vandervelde, informateur, au souverain...
Comme secrétaire du Roi, Robert CAPELLE a aussi des informations plus ou moins "confidentielles", qui complètent ce que nous savons déjà : "Le 4 juin... à 18 heures, M. de Man m'appelle...: "Nous avons eu une séance orageuse au comité des XII (a). Vandervelde nous a communiqué le résultat de son enquête : il estime qu'un gouvernement dirigé par un socialiste ne rencontrerait pas la majorité suffisante et il compte en faire part au Roi. C'est la réalité, mais l'assistance n'admet pas une telle réponse, qui serait un affront pour le P.O.B. ; ... Nous avons discuté pendant près de trois heures...; nous avons fait comprendre à Vandervelde qu'il doit tenir compte de l'avis des socialistes, au moins autant que de celui des autres partis. Finalement l'assemblée a adopté un projet de déclaration que Vandervelde remettra au Roi... Voici le texte de cette déclaration :
"Les résultats de mes consultations confirment que la plupart des personnalités que j'ai vues souhaitent le retour au pouvoir de M. Van Zeeland. Celui-ci ayant refusé la mission que le Roi désirait lui confier, il apparaît qu'il est possible d'essayer de former un Gouvernement d'union nationale, sous la présidence (b) d'un socialiste"."
M. de Man était l'artisan de cette formule. Il entendait courir ses chances jusqu'au bout, car il comptait bien être le "formateur" du prochain gouvernement." (op. cit., pages 228-229). Comme quoi, le recours à des sources "intimes" est indispensable !

(a) socialistes chargés par le P.O.B. de suivre la crise (CAPELLE, op. cit., p.227).

(b) lisant la note au Roi, Vandervelde remplacera ce mot par "direction", disant : "Je m'excuse, je sais qu'il n'y a pas de présidence du Conseil en Belgique..., mais c'est de Man qui a rédigé la note." (idem, p.229).

(38) Le communiqué officiel précisait qu' "... En présence des déclarations faites par M. Pierlot au nom de la droite toute entière et par M. Max au nom de la gauche libérale, M. Vandervelde a exprimé le souhait que le Chef de l'Etat fasse un nouvel appel à M. Van Zeeland en vue de la formation d'un gouvernement d'Union nationale. En conséquence, Sa Majesté a fait appeler au Palais M. Van Zeeland..." (HÖJER, op. cit., note 8 page 250).

(39) Adolphe Max, bourgmestre de Bruxelles, était l'un des chefs du parti libéral et ami de Paul Hymans.

(40) HÖJER confirme cette création page 252 dans la liste qu'il donne des ministres avec leurs attributions et page 253 dans l'énoncé des "victoires" et des concessions de chaque parti.
Dans la notice consacrée à Vandervelde du "Dictionnaire d'Histoire de Belgique", on le signale comme ministre de la Santé publique en 1935 (page 476).

(41) Paul HYMANS, op. cit., pages 763 à 769.

(42) HÖJER, op. cit., p.251.

(43) idem, p. 252.

(44) Hugo DE RIDDER, Sire, donnez-moi cent jours. DUCULOT, 1989.

(45) Contrairement à ce que certains ont prétendu, le chapitre 10 intitulé "Les suggestions du chef de l'Etat" contient peu d'exemples précis de déclarations royales, montrant ainsi que le journaliste a su, mieux peut-être que certains de ses interlocuteurs, respecter l'habituel devoir de réserve.

(46) C'est-à-dire que nous retrouvons, de ce point de vue, une situation comparable à celle qui posa problème en juin 1936 pour la constitution du gouvernement Van Zeeland II.

(47) J. BRASSINE, X. MABILLE, La crise gouvernementale, décembre 1987 - mai 1988. CRISP, C.H. 1198-1199, p.6.

(48) DE RIDDER, op. cit., p.47.

(49) BRASSINE et MABILLE, op. cit., p.45.

(50) DE RIDDER, op. cit., p.139.

(51) BRASSINE et MABILLE, op. cit., p.9.

(52) idem, p.46. Notons que les mêmes auteurs datent le début de la mission de Jean-Luc Dehaene du 22 janvier, en page 10.

(53) Une première mission d'information dure 63 jours, jusqu'au 24 mars. Ensuite, après une courte période de réflexion, le Roi le désigne le 27 comme formateur. (BRASSINE et MABILLE, op. cit., p.11).

(54) idem, pages 46-47.

(55) idem, p.13.

(56) idem, p.11.

(57) idem, p.47.

(58) H. DE RIDDER, op. cit., p.141.

(59) idem, p.88.

(60) idem, p.143.

(61) W. MARTENS, Parole donnée, p.94.

(62) Nous venons cependant de voir Léopold III utiliser cette tactique lors de la mise sur pied du gouvernement Van Zeeland II.
Nous avons, par ailleurs, été frappé par d'autres similitudes entre les stratégies utilisées au cours de ces deux formations : nous pensons aux missions respectives de MM. VANDERVELDE et SPITAELS, chacun leader du parti socialiste qui avait remporté les élections, de même qu'à l' "entrée en piste" retardée respectivement de MM. VAN ZEELAND et MARTENS ! Comme quoi l'étude comparative peut, en Histoire aussi, apporter quelques lumières lorsqu'on se heurte au défaut de documentation...

(63) F. DELPEREE, Chroniques..., p.69.

(64) Constitution..., CRISP, op. cit., p.83.